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«Silent House», la saga intime iranienne d’une maison et d’une famille à Téhéran

C’est merveilleusement pertinent de raconter le journal intime d’une maison à Téhéran pendant un siècle sous forme de documentaire, mais c’est visiblement aussi une démarche qui inquiète les autorités iraniennes. « Silent House » vient d’être distingué au prestigieux Festival international du film documentaire à Biarritz (Fipadoc) avec le prix Mitrani, mais les réalisateurs iraniens Farnaz et Mohammadreza Jurabchian ont été interdits de quitter l’Iran pour assister à la projection de leur film. 

Le prix Mitrani récompense le meilleur premier ou second film dans les compétitions internationales du Fipadoc, donc il transcende les genres, les formats et les thématiques et se montre ouvert aux expériences inattendues. Cette année, le jury a récompensé un film plein d’énigmes et de strates différentes. Silent House (« Maison silencieuse ») s’avère être un projet visuel à la fois incongru et capable de nous rincer l’œil des images connues jusqu’ici à travers des films iraniens projetés dans des festivals internationaux.  

Le portrait d'une famille iranienne sur quatre générations

Silent House dresse le portrait d’une famille iranienne sur quatre générations, filmée de l’intérieur de la cellule familiale. Un siècle raconté à travers d’archives privées et d’une maison familiale unique à plusieurs égards. D’abord, il s’agit de la maison habitée par la famille des réalisateurs, Farnaz et Mohammadreza Jurabchian, sœur et frère. Cette maison d’architecte impressionnante et luxurieuse a été acquise par leur grand-père fortuné de la main d’Esmat Dowlatshahi, quatrième et dernière épouse de Reza Chah. Selon la légende, c’est dans cette maison qu’a eu lieu une rencontre secrète de Churchill, Staline et Roosevelt, lors de la conférence de Téhéran en 1943.  

Ce manoir est d’autant plus emblématique qu’il garde entre ses murs bien sûr plus de secrets que le documentaire en révèle. Le commentaire explique bel et bien que la maison est située à côté du plus grand palais de Téhéran, le palais de Saadabad. Mais il ne nous dit pas que ce dernier abrite aujourd’hui la résidence officielle du président de la République islamique d’Iran, tout en mentionnant le fait qu’il est interdit « de prendre des photos ou de filmer autour de la maison ». De la même façon, la contre-révolution vestimentaire est vécue naturellement par les images, sans insister sur le fait que Reza Chah a été le fondateur de la dynastie Pahlavi ayant interdit le port du voile pour les femmes et obligé les hommes à se vêtir « à l’occidentale ». 

Les archives familiales et l'imaginaire des spectateurs

Tout est montré, mais peu de choses sont explicitement expliquées dans le documentaire. En même temps, les archives familiales et officielles sélectionnées sont de nature à quintupler l’imagination des spectateurs autour des faits qui se sont déroulés en Iran depuis la révolution islamique. Chaque spectateur, selon ses connaissances et sa volonté, est libre de voir ce qu’il veut dans ces images non formatées. Car l’originalité des scènes filmées réside dans le fait que le grand-père avait acheté très tôt une caméra en créant ainsi une tradition familiale à filmer la maison et l’entourage familial de façon exhaustive. Ses descendants ont ainsi pu puiser dans les archives familiales pour reconstruire l’histoire familiale sur un siècle. Avec toujours à l’œil le leitmotiv prôné par le grand-père : « On apprend à mieux connaître les gens à travers les images et les films. » Nous, spectateurs, nous regardons donc des images inédites, intimes et parlantes, toutefois souvent fabriquées sans but précis, évitant ainsi à susciter des réponses préfabriquées… 

Les réalisateurs, nous invitent-ils simplement à regarder les heurs et malheurs de leur famille pendant un siècle ? Assistons à la généalogie d’un déclin ?  Est-ce la chronologie d’un dépérissement annoncé d’une maison ? Le récit d’un drame familial ou d’un couple ? L’album photo d’une société ? Le miroir cinématographique d’une religion au pouvoir ? L’histoire fragmentée du destin d’un pays ? 

De Khomeini à la dépression

Une multitude d’histoires se superposent dans cette maison silencieuse. Il y a le roman à succès du grand-père né pauvre qui devient un homme d’affaires riche. Un parvenu qui se marie avec la fille d’une famille parmi les plus religieuses et riches du pays, et qui finit à résider avec sa famille et ses six enfants pendant un an dans la même maison que la dernière épouse de l’empereur. Le mariage des parents en costume cravate et robe de mariée en 1976 est aussi bien documenté que le port du voile par la grand-mère pendant l’interdiction du voile en 1936.

Les archives regorgent aussi d’images spectaculaires. En 1979, les rushes trouvés montrent la révolution islamique acclamée par la population descendue dans les rues, mais aussi par la mère des réalisateurs qui pose fièrement en uniforme. Elle respire littéralement la révolution par des images montrant la foule, les jeunes armés, le peuple en mouvement : « Khomeini est notre leader ! » Arrive alors le réveil douloureux, avec la maison confisquée par les révolutionnaires et l’obligation de se ruiner en la rachetant une deuxième fois. Lentement surgit aussi l’histoire de l’oncle Mohammad, qui, comme beaucoup d’amis de la famille, cherchait son bonheur en Occident, avant de revenir au pays et à la maison, après quarante ans en exil, avec une dépression profonde.  

Le film encapsule un siècle où la maison semble se délabrer au même rythme que l’état moral et la santé financière du pays autour… Le tout rythmé aussi par des images de bonheur, des fêtes d’anniversaire, des réunions familiales, Norouz, le Nouvel An iranien, affichant ainsi une certaine liberté gardée à l’intérieur de cette maison très spéciale, avec son court de tennis à l’intérieur de la propriété ; après le décès très tôt de son mari, la volonté d’indépendance de la mère passe par l’ouverture d’une librairie, sa candidature à l’élection présidentielle, des études en psychologie… En parallèle, nous serons témoin des ravages provoqués par la guerre Iran-Iraq au sein de la famille, des images filmées en voiture montrant des troubles provoqués par des élections présidentielles dénoncées par certains comme truquées, sans oublier la santé de la grand-mère qui se dégrade inlassablement...

Les images sortent, les réalisateurs restent en Iran 

Inévitablement, l’histoire de la famille se confond avec celle du pays. Contrairement aux autorités du pays, la maison restera silencieuse face aux images, même face aux caméras de la vidéosurveillance qui traque désormais les mouvements à l’intérieur de la propriété. Invités à assister à la projection de leur documentaire aux très prestigieux festivals du film documentaire à Amsterdam (Idfa) et à Biarritz (Fipadoc), en novembre et en janvier derniers, les réalisateurs Mohammadreza et Farnaz Jurabchian n’ont pas obtenu l’autorisation de sortir de l’Iran. Bien qu’ils aient déjà obtenu des visas et que Farnaz possède également un passeport canadien. Depuis le soulèvement en Iran en septembre 2022, en réaction à la mort de Mahsa Amini après son arrestation par la police des mœurs, le travail pour les réalisateurs indépendants en Iran devient visiblement de plus en plus difficile, voire impossible. 

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