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Treize ans après le massacre du 28-Septembre en Guinée, le procès s'ouvre enfin

Le 28 septembre 2009, des milliers de personnes s’étaient rassemblées au stade de Conakry pour exprimer leur refus d’une candidature à la présidentielle de Moussa Dadis Camara, alors chef de la junte. La manifestation avait été violemment réprimée par les forces de sécurité. Le procès, très attendu, s'ouvre ce mercredi 28 septembre.

De notre envoyée spéciale à Conakry

Les présumés auteurs de violences commises au stade de Conakry, le 28 septembre 2009, vont être jugées à partir de ce mercredi 28 septembre. Selon une enquête de l’ONU, au moins 156 personnes ont été tuées ce jour-là, 109 femmes violées, de nombreuses personnes battues et des dizaines de manifestants sont toujours portés disparus. Après huit années d’instruction, le procès contre les auteurs présumés de ces violences a été repoussé à plusieurs reprises.

Premier procès pour violations des droits de l'homme

Les autorités veulent organiser un procès juste et équitable. Pour cela, plusieurs défis se dressent face à elles. Ce procès est organisé dans une salle d'audience flambant neuve, construite pour l'occasion, située dans l’enceinte de l’actuelle Cour d’appel de Conakry. Le chantier avait connu des retards. Mais plusieurs détails techniques ont pu être réglés ces derniers jours. Les magistrats ont été formés pendant trois semaines pour notamment aborder la question des viols de masse. C’était une étape importante pour aborder un procès d’une telle ampleur.

« C’est le premier procès de violations des droits de l’homme en Guinée. Nous serons très attentifs sur les normes et la tenue de ce procès. Il faut que ce procès débouche sur quelque chose de pédagogique pour permettre de dire à ceux qui, demain, auront la tentation de violer les droits de l’homme, qu'ils passeront par la case prison », explique Mamadou Aliou Barry, le directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques.

Onze personnalités politiques et militaires de haut rang ont été inculpées et incarcérées. Parmi ces responsables, figurent l’ancien chef de la junte, Moussa Dadis Camara, son ancien bras droit Toumba Diakité, Tiegboro Camara, chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiant, ou encore Claude Pivi, chef de la sécurité présidentielle (lire encadré ci-dessous).

L'ancien chef de la junte présent

Dimanche matin, Moussa Dadis Camara est rentré à Conakry après plusieurs années d’exil, pour participer à ce procès. Pour plusieurs observateurs, sa présence est un gage de crédibilité pour ce procès.

Pour son avocat, Me Pépé Antoine Lama, c’est une opportunité pour prouver son innocence. « Depuis treize ans, explique-t-il, le président Moussa Dadis Camara fait l’objet d’une vaste campagne de dénigrement. Il a été présenté à l’humanité comme étant une personne qui aurait donné des instructions pour aller procéder à des crimes au stade du 28-Septembre. Il a enfin l’occasion de prouver qu’il est innocent et nous avons espoir qu’avec les légers éléments que nous avons trouvés dans ce dossier, le président Moussa Dadis Camara sortira de ce procès avec un acquittement », espère cet avocat.

Lenteurs

En janvier 2010, quelques mois après la répression de la manifestation au stade de Conakry, une Commission nationale d’enquête avait établi que des disparitions forcées, des viols et des meurtres avaient été commis. Un mois plus tard, les autorités ouvraient une procédure judiciaire. 

Les choses s’accélèrent sous l’impulsion de Cheikh Sako en 2014 : l’instruction est bouclée, elle permet d’inculper quatorze personnes dont Moussa Dadis Camara, qui vit en exil. Ce Garde des Sceaux créé un comité de pilotage qui identifie un site pouvant abriter le procès. Des fonds sont mobilisés. Malgré ces avancées, le dossier se heurte à de nouvelles lenteurs : « plusieurs personnes pointées du doigt dans ce dossier sont restées en fonction jusqu’au départ d’Alpha Condé », relève un observateur, qui regrette des « blocages politiques ». 

Finalement, c’est le projet annoncé début 2020 par le ministre Mohamed Lamine Fofana devant l’ONU à Genève qui est retenu : une nouvelle salle d’audience est construite pour répondre aux standards internationaux. 

La protection des victimes en question

Depuis, 450 personnes se sont constituées parties civiles. Une trentaine de victimes, présentées comme des témoins « directs » des violences, devraient témoigner. Tout l’enjeu, ce sont les conditions de leur participation : comment garantir leur anonymat et leur sécurité ? Vendredi 23 septembre, le Parlement de la transition a adopté deux projets de loi pour assurer leur protection. Reste une interrogation : la mise en œuvre de ces textes.

« Pour rassurer les victimes afin qu’elles participent à ce procès, il faut absolument que des dispositions soient prises à travers une protection rapprochée », indique Me DS Bah, coordinateur du Groupe d’action judiciaire à Conakry. « Il faut en tout cas des dispositifs clairs et précis pour que les victimes se sentent en confiance. Parce que nous savons que les accusés ont occupé de hautes fonctions dans l’appareil sécuritaire, poursuit cet avocat. Il y a un autre aspect, c’est le fonds d’indemnisation : ce fonds devrait permettre aux victimes d’être soulagées en attendant l’ouverture du procès, parce qu’il y a énormément de difficultés pour certaines, des problèmes de mobilité et de santé. »

Les audiences seront filmées, afin de rendre cette séquence judiciaire accessible au plus grand nombre de Guinéens.

Le 28 septembre 2009, un jour noir dans l'histoire de la Guinée

Avec notre correspondant à Conakry, Mouctar Bah

Ce jour-là, des éléments de la garde présidentielle du capitaine Moussa Dadis Camara venus du camp militaire Alpha Yaya Diallo font irruption dans l’enceinte du stade de Conakry. Des dizaines de milliers d’opposants à la junte se sont rassemblées dans ce stade - le plus grand de la capitale - pour dire non à la candidature annoncée de l'officier à l’élection présidentielle prévue en janvier 2010.

Des soldats lourdement armés rejoignent sur les lieux des éléments de la gendarmerie et de la CMIS, la compagnie mobile d’intervention et de sécurité, déployés depuis les premières heures de la matinée.

Il est 11h, quand les coups de feu commencent à crépiter du côté de la mairie de Dixinn, à l’est du stade. Les militaires, les gendarmes, les policiers et autres milices armés envahissent rapidement le stade de tous les côtés, tirant à vue sur les manifestants désarmés.

Les civils tentent de fuir comme ils le peuvent. Au bout d’une heure, des corps sans vie, des blessés graves jonchent la pelouse, les gradins et l’intérieur de la cour du stade. Des femmes sont violées par les soldats dans l’enceinte du palais des sports et dans les toilettes et vestiaires du stade.

Onze hommes dans le box des accusés

Treize ans plus tard, après une lente procédure d'enquête et des reports du procès, ils sont onze à être attendus ce matin dans le box des accusés. À commencer par le capitaine Moussa Dadis Camara qui dirigeait le pays au moment des faits. Il est rentré à Conakry le week-end dernier en provenance de Ouagadougou au Burkina Faso où il vivait en exil forcé depuis plus de dix ans.

À ses côtés, Abdoulaye Chérif Diaby, alors ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, inculpé en 2012. Il aurait empêché selon plusieurs victimes, les blessés de recevoir des soins dans les hôpitaux publics.

Moussa Thiègboro Camara, gendarme, au moment des faits, était ministre chargé de la lutte contre la drogue et le grand banditisme. Malgré son inculpation, il a bénéficié de la confiance du président Alpha Condé qui l’a nommé secrétaire général à la présidence chargé des services spéciaux. Il a été mis en cause par le rapport de la commission d’enquête de l’ONU.

Claude Pivi, alias Coplan, était chargé en 2009 de la sécurité présidentielle. À l’arrivée du président Alpha Condé au pouvoir, il a occupé un poste similaire avec rang de ministre avant de tomber en disgrâce.

Accusé également, Aboubacar Sidiki Diakité « alias » Toumba, médecin militaire et ancien aide de camp du capitaine Dadis Camara.

Les autres prévenus sont moins connus. Il s'agit du lieutenant Blaise Guémou, d'Ibrahima Camara, alias Kalonzo, tous les deux gendarmes, mais aussi de Marcel Guilavogui, Cécé raphael Haba, Alpha Amadou Baldé et Paul Moussa Guilavogui.