Burundi
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André Nikwigize : « Le Surendettement du Burundi : Une bombe à retardement !»

Selon cet économiste, l’économie du Burundi est en danger d’implosion.  D’après lui, le Burundi ne pourra pas s’endetter continuellement sans garanties de pouvoir rembourser les crédits contractés. Du coup, il faut prévoir comment rembourser en augmentant la production afin de couvrir les besoins d’importations, rembourser la dette extérieure et payer d’autres services extérieurs.

Comment se porte l’économie burundaise ?

Sans doute que le citoyen lambda ne s’en rend pas compte, mais l’économie du Burundi est en danger d’implosion. Les décennies à venir s’annoncent difficiles. En 10 ans, la dette publique a été multipliée par 4 passant de 1.320 milliards de BIF, en 2013, à 5.300 milliards de BIF, en 2022, soit 66,6% du Produit intérieur brut (PIB). Selon les prévisions du FMI, le taux prévu va augmenter, fin 2023, jusqu’à 73%. Les sanctions internationales, à la suite de la crise politique de 2015, les effets de la pandémie de COVID-19, du conflit Ukraine-Russie et de la récession mondiale, ont contribué à cette hausse vertigineuse de l’endettement. C’est environ 150$ par habitant, le double de ce qu’elle était en 1990. La dette des entreprises publiques, y compris les banques commerciales et de développement, atteint, également, un montant faramineux de 1.500 milliards de BIF, ce qui limite leur capacité à financer le développement.

Le tableau est si sombre ?

Oui. Ce n’est pas tout. Ajoutez à cela la faible croissance du PIB (1,8%), qui ne couvre même pas la croissance démographique (3,0%). Les recettes d’exportation qui couvrent, à peine, 10% des besoins d’importations, la faiblesse chronique des réserves en devises (1,5 mois d’importations). L’inflation qui atteint un niveau de 40%, l’un des plus élevés d’Afrique.  Une dépréciation du BIF par rapport au Dollar US, qui, en 10 ans, a atteint 80% sur le marché officiel. La pauvreté extrême qui touche plus de 80% de la population, caractérisée par la faim et la malnutrition, 65% des jeunes qui n’ont pas un emploi rémunéré. La mauvaise gouvernance économique, la corruption, devenue chronique. Autant d’ingrédients pour que, dans un futur proche, LA BOMBE SOCIALE éclate. Avec des dégâts immenses sur les populations et pour le pays tout entier. A moins que des réformes profondes ne soient prises, en vue de réduire l’ampleur de la dette publique et accroître la production et les exportations, et moins dépendre des aides extérieures.

Le pays continue donc de s’endetter ?

En mars 2009, tenant compte de l’ampleur du surendettement du Burundi, dans le cadre de l’Initiative Renforcée en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), les créanciers du Burundi réunis au sein du Club de Paris avaient convenu d’annuler un montant de 129,5 millions de dollars, soit 96% du stock de leur dette à fin 2008. Les institutions financières multilatérales de la Banque Mondiale, du FMI et de la Banque Africaine de Développement consentaient également une réduction de leurs dettes, respectivement de 90, 4 millions de dollars US, de 9, 2 millions de DTS (14, 5 millions de dollars EU) et de 12, 6 millions de dollars US. Ces allègements devaient permettre au Burundi de réduire sensiblement le ratio de la dette extérieure par rapport aux exportations de 967% fin 2007 à 75% fin 2013.

L’objectif a-t-il été atteint ?

En 2013, le niveau de la dette avait repris sa montée et représentait 446% des exportations, contre 75% prévu dans le programme convenu avec les partenaires bi et multilatéraux. En 2015, éclatait une crise politique, et suite aux violences, la plupart des partenaires de développement décidèrent de suspendre ou de réduire l‘aide au développement, que ce soit au titre de dons en capital ou de prêts. Malgré ces restrictions, en 2022, la dette extérieure a, quand même, augmenté de 110%, passant de 628 milliards de BIF à 1,320 milliard de BIF, entre 2013 et 2022.

Qu’a fait le Burundi pour redresser la barre ?

Dans une tentative de réduire sa dette extérieure, le Burundi a participé, en 2021, à l’initiative de suspension du remboursement des dettes (DSSI) du G20 qui a autorisé le Burundi à repousser le paiement des intérêts de certaines de ses dettes, et qui lui a permis de bénéficier d’un allègement de la dette pour un montant de 0,93 million de dollars US, de la part de la Banque d’exportation et d’importation de Chine et du Fonds koweïtien.

En 2020, le Burundi a obtenu 150 millions de dollars US du FMI, au titre du Fonds Fiduciaire d’Assistance et de Riposte aux Catastrophes (Catastrophe Containment Relief Trust). En 2021, le Burundi a bénéficié d’un crédit supplémentaire du FMI de 76 millions de dollars US, de la Facilité de Crédit Rapide (Rapid Credit Facility), pour faire face à la pandémie du COVID-19. En décembre 2021, la Banque Mondiale octroya aussi un montant de 60 millions de dollars US, dans le même contexte de COVID-19. La BAD et d’autres partenaires multilatéraux et bilatéraux ont aussi appuyé le Burundi, pour faire face aux effets néfastes de COVID-19. En avril 2022, le Burundi a, de nouveau, bénéficié d’un crédit du FMI, de la Facilité Elargie de Crédit (FEC) d’un montant de 271 millions de Dollars US, sur 38 mois, représentant 130% de la quote-part du Burundi auprès du FMI.

Et en contrepartie ?

Le gouvernement du Burundi s’engageait à mener à bien une série de réformes, dont certaines qui ont eu du mal à passer, notamment, celle qui concerne une dévaluation du BIF. Mais le Gouvernement avait-il vraiment le choix ? En mai 2023, le BIF était dévalué de 38%, par rapport au dollar US. Le gouvernement continue à rechercher d’autres fonds pour financer, essentiellement, les importations et le service de la dette. La Banque Africaine, la Banque Mondiale, l’Union européenne auraient promis d’accorder de nouveaux crédits au Burundi pour financer les programmes de développement. Il y a de fortes chances que la dette extérieure augmente fortement en 2023, jusqu’à représenter 73% du PIB, comme le prévoient les services du FMI, du fait de nouveaux emprunts que le gouvernement est en train de négocier, avec les partenaires internationaux.

La dette intérieure, une alternative aux sanctions internationales ?

Compte tenu du ralentissement ou de la suspension des aides de la part des partenaires classiques, le gouvernement a dû faire appel au marché bancaire intérieur pour se financer, en émettant des Bons du Trésor et des obligations (plus de 80 % du total), auprès de la BRB, nourrissant, ainsi, l’inflation.

L’emprise du gouvernement sur le secteur bancaire lui permet à la fois de manipuler les règles financières en sa faveur et de favoriser les proches du pouvoir. Ainsi, les banques publiques et à participation publique étaient contraintes d’accorder des prêts au gouvernement. C’est ainsi que la dette intérieure, qui s`élevait à 698 milliards de BIF en 2013, en 10 ans, a été multipliée par presque 6 fois, pour atteindre 4.040 milliards de BIF, en 2022. Cet endettement de l’Etat auprès de la Banque Centrale et des banques commerciales et institutions financières limitait la capacité de ces dernières à financer les projets de développement, notamment, pour participer aux efforts de réduction de la pauvreté.

Quid de l’endentement de ces entreprises publiques et banques ?

Les entreprises publiques, y comprises, les banques commerciales à participation de l’Etat, sont également surendettées.  23 entreprises comptabilisent une dette totale de 1,550 milliard de BIF. Ce surendettement des entreprises publiques représente une contrainte majeure au financement du commerce et du développement. Les solutions, souvent, préconisées par les institutions financières internationales consistent à privatiser ou liquider les entreprises publiques peu performantes, sans tenir compte du fait que certaines sont d’utilité publique, et donc, non privatisables, tandis que d’autres, souffrent d’un environnement économique qui ne leur est pas favorable. Si les entreprises publiques ont joué et continuent à jouer un rôle fondamental dans l`économie nationale, elles subissent des crises énormes, liées, notamment, à l’environnement difficile et le surendettement, qui conduisent aux difficultés actuelles.

L’ensemble de la dette publique représente un grand risque d’asphyxie de l’économie nationale. Le Burundi a déjà dépassé les limites convenues dans le cadre de la Communauté Est-Africaine, de 50% du PIB.

Où va tout cet argent que l’Etat emprunte ? Quels effets sur les réserves en devises et la stabilité extérieure ?

Depuis plusieurs années, le Burundi souffre d’un manque criant de réserves en devises étrangères pour couvrir les besoins d’importations. Il n’a pas d’autres sources de recettes en devises. L’environnement politique et institutionnel actuel ne lui permet pas de mobiliser ni l’investissement privé étranger, qui, à l’heure actuelle, se situe à 8 millions de dollars US, par an seulement, ni les transferts de la diaspora, qui ne s’élèvent qu’à 48 millions de dollars US, par an.

Par contre, les autres pays de la sous-région reçoivent des montants importants d’investissements directs étrangers ou de leurs diasporas.

Par exemple, en ce qui concerne les transferts de la diaspora, pour les pays de la sous-région, en 2021 : le Kenya recevait 3.770 millions de dollars US ; le Rwanda : 391 millions de dollars US ; l’Ouganda : 1,083 million de dollars US; la RDC : 1,331 million de dollars US ; la Tanzanie : 569 millions de dollars US.

Comme conséquence de ce manque d’alternatives, pendant longtemps, les réserves en devises sont restées à un niveau minimum de 1,5 mois d’importations. Les services du FMI prévoient que ce niveau sera maintenu entre 1,5 et 2,0 mois jusqu’en 2025. On estime qu’il faut au moins 4 mois d’importations.

Pour tenir compte de ces contraintes, le gouvernement a pris des mesures de rationnement en retenant comme produits prioritaires sur lesquels affecter les quelques réserves, le carburant, les produits médicaux et les engrais. Malheureusement, l’affectation de ces réserves en devises aux produits retenus comme prioritaires n’a pas toujours été transparente, en particulier, pour le carburant pour lequel les bénéficiaires des ressources en devises ne répondent pas toujours aux critères objectifs de : capitaux propres, d’expérience dans le secteur, de disponibilité de camions ou de capacité de stockage, ce qui explique la situation de pénuries, devenues régulières de carburant. La situation reste compliquée pour le pays, malgré les déclarations du gouvernement faisant état de la disponibilité en quantité suffisante de carburant dans les entrepôts de Dar es-Salaam.

La pénurie de devises a également eu pour conséquence une dépréciation du Franc burundais par rapport au dollar US d’environ 80% durant les dernières 10 années, passant de 1$=1.583 FBU, en 2013, à 1$=2.890 FBU en 2023. Le taux parallèle montre une dépréciation encore plus importante, qui atteindrait jusqu’à 180%.  Cela a justifié les mesures du gouvernement à l’égard des bureaux de change, tantôt en les fermant, tantôt en les rouvrant, avec des conditions draconiennes.

Le Burundi a-t-il les capacités de rembourser ces crédits ?

C’est la question que beaucoup de Burundais se posent. Tous les pays s’endettent, y compris, les pays les plus industrialisés. La différence avec le Burundi est que ces pays s’endettent pour : investir dans les capacités techniques de leurs populations, développer les infrastructures routières, énergétiques et technologiques, développer les capacités de production et d’exportation de biens et services, financer la recherche-développement. Cela leur permet de générer suffisamment de ressources pour rembourser la dette. Ce n’est, malheureusement, pas le cas pour le Burundi, qui s’endette pour financer la consommation et rembourser des crédits antérieurs, ne voulant pas (ou ne pouvant pas) renforcer les capacités nationales de production.

Que faire alors ?

Le Burundi ne pourra pas s’endetter continuellement sans garanties de pouvoir rembourser les crédits contractés, éventuellement, dans l’espoir que les créanciers de ces crédits vont les annuler, comme ils l’ont fait les années antérieures. Il faut prévoir comment rembourser. Les solutions résident, certainement, dans l’augmentation de la production en vue d’une autosuffisance nationale, mais également, d’accroître la production des produits d’exportation, permettant de dégager suffisamment de recettes pour couvrir les besoins d’importations, rembourser la dette extérieure et payer d’autres services extérieurs. Le Burundi dispose de nombreuses possibilités de production et d’exportations qui pourraient être explorées. A commencer par les produits classiques qui pourraient être renforcés et mis en valeur.

Aucun espoir ?

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Ensemble, les Burundais pourraient désamorcer cette bombe sociale et mettre en place les politiques appropriées pour bâtir un pays prospère, uni et moderne. Le Burundi dispose des ressources humaines et institutionnelles nécessaires pour y arriver.