Burundi
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Les compagnies aériennes snobent le BIF

Depuis le 27 septembre 2023, toutes les compagnies aériennes opérant au Burundi vendent les billets d’avion en devises. Ces compagnies expliquent, que cette décision est motivée par le manque de devises. Une mesure lourde de conséquences  décriée par la population.

Par Fabrice Manirakiza, Hervé Mugisha et Rénovat Ndabashinze

 « On paie les billets d’avion en devises ». Officiellement, aucune  compagnie de voyage n’a voulu communiquer sur les raisons de cette décision. Apparemment, lesdites compagnies se sont d’abord concertées sur la démarche à suivre après l’entrée en vigueur de cette décision.  La preuve, aucune compagnie n’a même pris le soin d’afficher une note administrative, histoire d’expliquer à sa « chère clientèle » ou au grand public les motifs.  Les seuls à avoir été notifiés sont les agences de voyages-partenaires. Là aussi par voie électronique.

M.F, comptable au sein d’une agence de voyage, dit que la décision les a pris de court. « Certes, il y avait des rumeurs qui ne cessaient d’enfler, mais, nous ne pensions pas en arriver jusque-là. Surtout que les autorités compétentes avaient promis de se saisir vite de la question. Alors, si c’est ainsi, c’est une preuve qui témoigne à suffisance que dans les coulisses, les discussions n’ont rien accouché ou piétine ».

Ainsi, 24h après son entrée en vigueur, les conséquences de cette mesure n’ont pas tardé à se faire remarquer. Et les agences de voyages locales sont les premières à en faire les frais. « Honnêtement, si ce n’est pas un voyage de la plus grande importance, combien de particuliers seront à mesure de payer leur billet d’avion en USD avec sa rareté ? », opine Fernand, responsable dans une agence de voyages. L’essentiel de leurs clients étant de businessmen s’approvisionnant à Dubaï, Nairobi, en Inde, etc. Il explique qu’il était facile pour eux d’acheter un billet aller-retour à 2 millions de BIF, s’ils sont certains que la marchandise qu’ils importent va se vendre 6 millions BIF. « Si la situation perdure, qui va se permettre un tel luxe avec 1USD oscillant entre 4200 et 4300BIF ?»

Dans la matinée du 28 septembre, chez différentes agences de voyages sur lesquelles nous sommes passés, une peur diffuse se lisait sur les visages. A demi-mot, certains agents interrogés n’excluent pas de perdre leurs emplois, surtout que certains clients commencent à annuler leurs réservations… « Quoi faire d’autre pour un manager en période de vache maigre ? Mettre en chômage technique son personnel ».  

Le manque de devises, cette éternelle question

En mars 2023, ces compagnies avaient opté de faire pression avant qu’avec le gouvernement ne parvienne à un consensus : vendre les billets, certes en dollars, mais sur le taux officiel du jour de la BRB. Toutefois, pour ce cas de figure, sous anonymat, un agent d’une compagnie aérienne redoute que cette situation perdure. « Avec les dizaines de millions de dollars américains de perte enregistrés avec la dévaluation du BIF suite aux réformes économiques visant l’unification du taux de change, je vois mal nos dirigeants lâcher du lest, et faire d’autres concessions », prévient-il. Le seul répit, estime-t-il, c’est que le gouvernement leur garantit que dorénavant, elles vont accéder facilement aux devises. Ce qui n’est pas gagné d’avance au regard de la conjoncture actuelle liée aux devises. « Autrement, je ne doute pas que certaines de ces compagnies ne voudront plus desservir le Burundi ou du moins réduiront leurs vols vers Bujumbura ».

Mais, au-delà de tout, notre source révèle que cette décision est en grande partie motivée par le manque de devises. « En quoi nous servent nos liquidités en BIF ? Juste pour payer les salaires, les loyers ».  Avant de poursuivre : « Est-ce avec les millions de BIF gardés dans les banques commerciales que nous allons acheter le carburant ou la nourriture des passagers sachant qu’au Burundi nous n’avons pas de restaurants certifiés ? Non ! Nous devons toujours payer en devises ! » D’après cet agent, actuellement, là où le bât blesse, lorsqu’ils ont besoin de payer les services inhérents à leurs services, les banques commerciales leur disent qu’elles n’en ont pas. Aussitôt de lâcher : « Le plus frustrant, c’est lorsque vient le moment de rendre nos bilans financiers ».

Ainsi, avec cette mesure, cet agent affirme que la tendance pour les personnes voyageant sur leurs comptes sera de vouloir acheter les billets au Rwanda. « Avec autant d’avions qui servent Kigali, fort normal qu’il y aura un léger mieux en termes de différences de prix ».

Quid d’autres éventualités ? En cas de non-accord, cet agent n’exclut pas que des compagnies ferment leurs portes et quittent le pays. « Pour un pays enclavé et dont le potentiel touristique peine à être exploité, ce serait une grande perte. »

Dans l’attente d’une issue, peut-être favorable pour les deux parties, un cadre de l’aviation civile contacté, rappelle que cette décision, quand bien même compréhensible dans le fond, ces compagnies ne doivent pas en abuser, car « en principe toute transaction en dollars américains n’est pas permise au Burundi lorsqu’il s’agit des clients locaux».

« Le grand problème est le manque de ces devises »

« Décider que le billet d’avion soit acheté en dollars ou en euros n’est pas un problème. Car, même dans d’autres pays, là où on va chercher des produits, on paie souvent en dollars ou en euros. Mais, ces devises sont disponibles. Mais, ici dans notre pays, le grand problème auquel on va faire face, c’est ce manque de devises », commente I.B, un importateur, rencontré à Bujumbura.

Ce commerçant, la quarantaine, indique qu’il fait souvent des voyages entre Bujumbura et Addis-Abeba et d’Addis-Abeba vers Beijing (Chine).

D’habitude, signale-t-il, il payait son ticket en BIF. Aujourd’hui qu’il sera désormais obligé de payer en devises, il se demande comment il va avoir cet argent. « Est-ce que la BRB est prête à nous donner ces devises afin que l’on continue normalement notre business ? » Et s’il doit se rabattre sur le marché noir, il en déduit  que les Burundais vont avoir sérieusement des difficultés. « Notre monnaie n’est pas stable. Il est en perpétuelle dévaluation. Et quand on traverse les frontières nationales, elle n’a presque plus de valeur même tout près à côté, au Rwanda, en Tanzanie ou en RDC. »

Pour lui, les conséquences de cette décision sont lourdes.  Ce  commerçant explique que ce sont les consommateurs qui vont porter le lourd fardeau : « En tout cas, moi, je vais me débrouiller pour trouver ces dollars ou ces euros. Mais, à mon retour, je dois ajuster le prix de mes produits pour ne pas vendre à perte.» Il  précise que cette décision va aussi avoir un impact négatif sur le nombre des voyages.  « Cela signifie qu’à côté de chercher des devises pour les marchandises, les produits à importer, nous devons aussi avoir des devises pour payer le billet d’avion. Et ce n’est pas évident que ces devises seront disponibles. Ainsi, sans dollars ou euros, on ne pourra plus avoir un billet d’avion.»

Ce commerçant trouve que cela va affecter d’autres personnes comme ceux qui vont se faire soigner, les étudiants, etc. « Très difficile pour les malades qui vont se faire soigner à l’étranger. Car, ils doivent payer aussi des billets d’avion pour eux ou pour les garde-malades », commente-t-il.

Innocent, un autre commerçant qui fait des navettes entre Bujumbura et Dubaï dit « qu’au moins, il voyage deux ou trois fois dans deux mois pour importer des marchandises. Là, quand il on est à Bujumbura, il pouvait payer le billet d’avion en BIF. C’était rapide », raconte-t-il.

Pour lui, cette décision va sans doute affecter ses activités. « En tout cas, notre travail ne va pas être facile. Je ne doute pas que même le temps d’avoir un billet d’avion va se prolonger parce qu’on doit d’abord avoir les devises. »

Ce qui n’est pas toujours facile, analyse-t-il, étant donné que la BRB ne rend pas disponibles ces devises. « On se débrouille ici et là. Et en plus du capital, nous serons désormais obligés de chercher des devises pour l’achat du billet d’avion. » Pour Bujumbura-Dubaï, il signale qu’il payait autour de 460 euros convertis en BIF.

Réactions

André Nikwigize : « La situation financière du Burundi est préoccupante »

« Ce qui arrive est la conséquence de la pénurie de devises au Burundi. La BRB ne pouvant plus octroyer des devises pour le transfert des recettes issues des ventes de billets d’avion, pour les compagnies de transport aérien, la solution qui reste est que quiconque veut voyager, sera obligé de payer en devises », analyse l’économiste André Nikwigize.

Auparavant, explique-t-il, les agences de voyages opérant au Burundi pouvaient vendre les tickets d’avion en monnaie locale. « Elles pouvaient, par la suite, échanger les BIF à la BRB pour rembourser les compagnies aériennes. Avec le manque de devises, il y a, soit la limitation de l’octroi de devises, soit, tout simplement le rejet, ce qui met en difficulté les agences et les compagnies aériennes. »

Selon lui, les voyageurs vont s’approvisionner sur le marché noir. Et de s’interroger : Où les trouver? A quel prix? « Le taux de change $/BIF va augmenter, creusant ainsi la dépréciation du BIF. Déjà, le différentiel du taux de change $/BIF atteint presque 50%. Ne soyez pas étonné si, demain, les vendeurs de produits importés exigent d’être payés en dollars. D’ores et déjà, c’est le cas pour les hôtels. Où va le Burundi ? »

Quid de la série de mesures prises dernièrement par la BRB ?  « Malheureusement, des mesures non soutenues par le renforcement des capacités productives nationales ne peuvent produire que des effets de court terme. » De plus, indique l’économiste, l’Accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour la Facilité Elargie de Crédit pour un montant de 271 millions de dollars américains, sur 38 mois, ne pouvant à lui seul régler les questions de déséquilibres extérieurs.

André Nikwigize rappelle que les exportations du Burundi restent insignifiantes par rapport aux besoins d’importations et que les partenaires qui avaient promis d’accompagner le programme Burundi, Banque Mondiale, BAD, Union européenne tardent à intervenir. « Le Burundi est pris au piège. Une inflation très élevée, une dépréciation de la monnaie, qui atteint presque 100% en une année, un budget irréaliste, basé sur des recettes fiscales non réalisables et des financements extérieurs hypothétiques. La situation financière du Burundi est préoccupante. »

Gabriel Rufyiri : « La situation va être problématique si le gouvernement n’a pas pris des dispositions nécessaires pour rendre disponibles les devises »

« Cette mesure va avoir inévitablement des conséquences sur la vie des Burundais et plus particulièrement sur leurs voyages à l’étranger », indique le président de l’Olucome, Gabriel Rufyiri.  Et de souligner que les devises sont introuvables dans les banques ou dans les bureaux de change. « Je ne vois pas comment les citoyens vont s’y prendre. » Et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier une augmentation généralisée des prix, car l’inflation va s’intensifier et c’est le citoyen qui va subir les conséquences de plein fouet. »

D’après Gabriel Rufyiri, ces compagnies aériennes ne peuvent pas prendre une telle décision sans se concerter avec le gouvernement. « Certainement qu’il y a eu des pourparlers. Sinon, le gouvernement doit communiquer pour donner un message clair. » Pour le président de l’Olucome, la situation va être problématique si le gouvernement n’a pas pris des dispositions nécessaires pour rendre disponible les devises pour tous ceux qui veulent voyager.

Selon lui, il faut produire beaucoup pour l’exportation afin de faire entrer les devises. « A court terme, il faut assainir le climat des affaires pour que les investisseurs étrangers puissent venir. Il faut augmenter la coopération au développement et multiplier tous les autres circuits où les devises passent. Sinon, c’est intenable. » 

J.K. : « C’est l’effet psychologique de cette mesure qui me préoccupe »

« Les compagnies aériennes ont certainement pris cette décision, parce qu’elles s’attendent à une éventuelle dévaluation du franc burundais », analyse cet économiste et entrepreneur burundais. D’après lui, la latitude d’exiger un paiement en dollars, dont jouissent les compagnies aériennes, constitue une exception au Burundi. « Il est normalement interdit aux entreprises burundaises de recevoir un paiement en devises étrangères pour un bien ou un service échangé sur le territoire burundais. »

J.K. ne s’attend pas à ce que cette décision, prise uniquement par les compagnies aériennes, produise, à elle seule, un impact lourd sur l’économie burundaise. C’est l’effet psychologique de cette mesure qui le préoccupe. « Les différents acteurs économiques, bien qu’ils n’aient pas la possibilité d’être payés en dollars, pourraient décider de se couvrir contre une éventuelle dévaluation, soit en se ruant sur le marché non officiel de change pour convertir leur trésorerie en devises étrangères, soit en achetant du stock ou tout autre bien qu’ils pourraient liquider une fois la dévaluation survenue. »

D’après lui, ces deux réactions de panique déclencheraient, l’une et l’autre, une flambée des prix. « Nous savons aujourd’hui que les réserves de change de la BRB ne permettent pas de couvrir tous les besoins en importation. C’est un secret de polichinelle. » Sur ce, indique-t-il, un nombre important d’importateurs achète leurs devises en dehors du circuit officiel. « Comme la plupart des biens transformés, ainsi que les carburants, proviennent de l’extérieur, nous allons assister, a fortiori, à une hausse conséquente de l’ensemble des prix. »    

Il déplore que les mesures prises dernièrement n’aient produit aucun effet. « Pour changer une économie, il faut du temps. Surtout, il faut une direction et une stratégie claires. Un excellent alignement entre les besoins de la population, la vision gouvernementale et la politique économique et monétaire mise en œuvre par la BRB. » D’après lui, cet alignement se traduit par la mise en œuvre de réformes ambitieuses, par vagues successives, qui se complètent et se renforcent mutuellement. « Cet alignement n’existe pas aujourd’hui. Le constat est que nous faisons un pas en avant, deux pas en arrière. Parfois, suivis de trois pas sur le côté. A partir de là, il ne faut pas s’attendre à des miracles. »

La BRB explique

Bellarmin Bacinoni : « Les voyages à l’étranger ne sont pas toujours des aventures »

Alors que la décision de ces compagnies aériennes est mal accueillie par les voyageurs, la Banque centrale du Burundi (BRB) affirme que c’est légal. Bellarmin Bacinoni, le porte -parole, explique.

Est-ce que cette décision ne viole pas la mesure de la BRB qui interdit les transactions monétaires en devises étrangères ?

La réglementation de change édictée en 2019, qui est le texte de référence en matière d’utilisation des devises dans notre pays jusqu’aujourd’hui (puisqu’elle va être révisée bientôt), le leur autorise d’une certaine manière.

Comment ?

L’article 4 de ce règlement stipule que, « l’unité monétaire ayant cours légal en République du Burundi est le Franc Burundi BIF en sigle ». Dans son second alinéa, l’article ajoute que « toutes les transactions monétaires conclues localement et concernant des biens situés au Burundi ou des services rendus au Burundi sont exprimées et réglées en BIF. »

Dans la mesure où les avions qui desservent le Burundi appartiennent à des sociétés étrangères et offrent leurs services à l’étranger, il peut être conclu que les notions de résidence de ces compagnies et celle de territorialité du service offert restent discutables. Ces agences peuvent vendre en devises.

D’ailleurs vous savez que, dans les statistiques, l’achat des billets d’avion, lorsqu’il est capté, il est comptabilisé dans les dépenses d’importations de services.

Cette décision des compagnies aériennes ne va-t-elle pas affecter les voyageurs étant donné que les devises ne sont pas accessibles à tout le monde ?

Il est vrai que « qui veut aller loin ménage sa monture » et que les voyages à l’étranger ne sont pas toujours des aventures. Pour ceux qui avaient prévu d’acheter leurs billets en BIF, et qui n’avaient pas encore rassemblé tout le montant nécessaire pour leur voyage à l’étranger, s’ils ne trouvent pas tout le montant voulu, cela peut causer des désagréments.

Notre pays a connu une période d’instabilité qui a eu des répercussions négatives sur les mesures de politique économique. Toutefois, après l’instabilité, nous sommes dans une période de reconstruire notre économie.

La BRB est-elle prête à donner des devises aux Burundais qui en auront besoin pour acheter des tickets ?

Dans le monde entier et dans les conditions normales, la Banque Centrale n’a pas la fonction de servir individuellement les citoyens. Ce rôle est cédé à ses intermédiaires que sont les banques commerciales, les bureaux de change et les institutions de micro finance.

Dans le passé récent, suite aux moments que traversait notre pays, la Banque Centrale a fait des interventions pour des projets des personnes morales.

Néanmoins, en mai 2023, la Banque Centrale a relancé le marché interbancaire de devises (MID) et a annoncé abandonner ses interventions hors MID.

C’est à travers les banques que les besoins du public sont servis. Le marché interbancaire de devises se tient chaque jour ouvrable.

Les devises sont des monnaies étrangères. Elles sont émises par des banques centrales étrangères. Pour les acquérir, il faut notamment exporter, bénéficier des appuis ou des crédits, des transferts, des investissements étrangers.

Ainsi, beaucoup de mesures de politique monétaire et de change ont déjà été prises, pour notamment augmenter la transparence et le niveau des réserves en devises des banques.

Quelles sont ces mesures ?

Vous vous rappelez notamment qu’après une longue période de fermeture, les bureaux de change ont été ouverts et huit travaillent, chaque jour depuis 10 mois. Les  transferts instantanés qui avaient été suspendus ont été ré-autorisés et, un mois après cette ré-autorisation, en glissement annuel, les transferts ont été multipliés par plus de 600%. Pour augmenter leurs réserves en devises, les banques commerciales ont été autorisées à gérer les comptes des missions diplomatiques et organisations internationales.  Les Banques commerciales ont aussi été autorisées à gérer les recettes d’importations issues des minerais, etc.

Il faut aussi reconnaître l’importance de la très bonne coopération actuelle de notre pays avec tous les pays du monde, ce qui va continuer à augmenter les flux des devises.

Ainsi, l’espoir est là. Grâce aux mesures en cours, l’économie va continuer à progresser. Il est vrai : les défis ne manquent pas, la détermination et les actes pour aller dans la bonne direction ne manquent pas non plus. Aujourd’hui, nous importons plus que nous n’exportons. Joignons nos efforts et augmentons la production. Ensemble, c’est possible.