Burundi
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Osez dire non aux « ordres d’en haut »

Le Sénat vient d’approuver les nominations du nouveau procureur général de la République et des juges à la Cour suprême. Des commentaires ont fusé de partout quant à leur probité, intégrité, indépendance et neutralité politique. Accordons-leur le bénéfice du doute.

Ces nominations se réalisent au lendemain d’une affaire qui a fait la Une des médias et le buzz sur les réseaux sociaux : l’incarcération de Christelle Ndayishimiye, élève au lycée communal Mugendo en commune de Ntega pour « divulgation d’un secret professionnel ». Une affaire qualifiée de scandale judiciaire, parfaite illustration de l’âne des Animaux malades de la peste ou de l’agneau du Loup et l’Agneau de Jean de La Fontaine. Les cas de Christelle sont légion.

Par Léandre Sikuyavuga
Directeur du groupe de presse Iwacu

Lors de la réunion avec les représentants de la magistrature en août 2021, le Président de la République a dénoncé vivement « la corruption » qui gangrène la justice burundaise qu’il accuse d’être à l’origine de tous les maux du pays. On se souviendra de la « contre-attaque » du juge de tribunal de grande instance de Rumonge pour se justifier. « Il y a de la corruption, c’est vrai. Mais, il y a aussi une main invisible qui pèse sur les juges. Le justiciable d’aujourd’hui est très rusé car lorsqu’il voit qu’il va perdre son procès, il s’en remet au chef du parti au pouvoir de sa province, ou alors il s’appuie sur un général de l’armée ou de la police. »

Sans se voiler la face, on peut affirmer que depuis l’accession du Burundi à son indépendance, la justice n’a jamais été un sujet de fierté nationale. D’après une étude réalisée en 2016 par l’Association des juristes catholiques du Burundi (Ajcb) en partenariat avec Cordaid, « près de ¾ des justiciables enquêtés estiment que la justice burundaise n’est ni impartiale ni indépendante. 74,7 % ne croient pas qu’un pauvre dont sa terre a été spoliée par un riche homme d’affaires pourrait gagner le procès contre ce dernier ».

Dans son ouvrage L’accès à la justice au Burundi : au-delà de la qualité de la norme, un problème de culture de respect de la loi, Aimé-Parfait Niyonkuru dénonce un duel dévastateur pour l’accès à la justice au Burundi entre « l’autorité de la loi et la loi de l’autorité ». Pour lui, lorsqu’il est question de dossiers « sensibles », les « ordres d’en haut » font office de lois et, au besoin, remplacent les lois existantes, à la grande angoisse des magistrats « intègres », contraints de traiter ces affaires.

Ce que disent ces juristes peut être vrai. Mais ils ont aussi le droit de dire non à ces « ordres d’en haut ». Feu Léonard Nduwayo peut les inspirer dans l’affaire Ntungumburanye en 1971. Fraîchement nommé procureur général de la République, il plaidera pour la relaxe des accusés dans un dossier purement politique, « un complot qui viserait à destituer le Président d’alors ».

Il y avait des condamnations à la peine capitale, à la réclusion perpétuelle. M. Nduwayo considérera que l’accusation ne tient pas débout en l’absence des preuves. C’est donc possible de refuser les « ordres d’en haut ». Tout dépend de la personnalité du juge. Souhaitons aux nouveaux juges nommés aux hautes fonctions de la magistrature le courage de dire non aux « ordres d’en haut ».