Burundi
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Dis-moi où tu te fais soigner…

Il y a quelques jours, un média burundais a sorti une liste, pas actualisée d’ailleurs, de noms de médecins burundais exerçant au Rwanda. Comme des vierges effarouchées, sur les réseaux sociaux, on a crié haro sur le baudet ! Pour certains, ces médecins qui travaillent au Rwanda ne sont pas « patriotes ». Bref, chacun y est allé sur sa dénonciation de cette «  fuite des cerveaux », etc.

Mais quelle hypocrisie ! Pourquoi on se focalise sur les conséquences et jamais les causes ?

La question est simple et grave en même temps : le Burundi ne croit plus dans son enseignement public. Regardez, Rumuri, l’université nationale, tombe en ruine à l’instar du campus Kiriri, naguère un joyau sur les hauteurs de Bujumbura légué par les Jésuites. Un ami professeur à l’université nationale me disait, avec un brin d’amertume, que presque aucun enfant d’un dignitaire ne fréquente plus l’université du Burundi. « Leurs enfants sont envoyés soit en Europe, en Asie, ou dans la sous-région, ou dans les universités privées burundaises. L’université nationale est pour les enfants des pauvres ».

Aujourd’hui, l’enseignement public n’attire plus. Dès l’école primaire d’ailleurs. J’ai commencé l’école primaire des garçons de Mushasha à Gitega. Une école « don du FBI. » Je parie que vous êtes en train d’ouvrir grands vos yeux… Non, cela signifie « Fonds du Bien-être indigène ». Cette école primaire est un cadeau de nos tontons, les Belges, aux « indigènes » burundais. C’était écrit en grosses lettres sur le mur. A l’école « don du FBI » donc, nous étions tous logés à la même enseigne. Enfants des dirigeants de l’époque et enfants de « paysans. » Plus tard, je suis « descendu » étudier à Bujumbura. J’ai fréquenté une école publique de la capitale. Je me souviens que j’étais dans la même classe que le fils du président de l’époque et d’autres enfants des ministres et autres dignitaires, mais aussi de simples citoyens. Dans cette école, certains rentraient en Mercedes à Kiriri et d’autres dans la cité. L’école privée n’existait pas ? Si, il y avait l’école française, l’école belge, l’école indépendante, mais elles étaient fréquentées par les enfants des coopérants, des diplomates et autres étrangers. Sinon, tous les enfants allaient dans les écoles publiques à Bujumbura ou en province. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je suis entré à l’université en 1988, à l’époque les universités privées n’existaient pas. Je pense que nous avons eu une excellente formation. D’ailleurs, tous ceux qui sortaient de Rumuri et qui avaient la chance d’aller poursuivre leurs études à l’étranger s’en tiraient honorablement, si pas brillamment. A commencer par les médecins. Mais petit à petit, pour des raisons trop longues à développer ici l’enseignement public est tombé en désuétude.

Hémorragie

Pour revenir sur le cas de nos médecins, dans les années 1994, le Rwanda en pleine reconstruction a offert des salaires attractifs aux médecins burundais. Notre pays en pleine guerre civile n’a pas pu les retenir. C’était la première hémorragie. Elle ne s’arrêtera plus. Ceux qui étaient partis aux études ne sont pas rentrés. Non pas qu’ils n’étaient pas « patriotes », mais tout simplement parce que notre pays n’a pas pu les attirer avec des salaires décents notamment. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Nos médecins iront où ils sont mieux traités. Par ailleurs, aujourd’hui des parents se saignent pour envoyer leurs enfants étudier à l’étranger. Il est normal que leurs enfants veuillent un retour sur l’investissement. Ils vont là où ils sont mieux traités. Le traité de l’EAC ( dont le Burundi fait partie) consacre par ailleurs la libre circulation des citoyens…

Comment arrêter l’hémorragie ? Au lieu de condamner ceux qui partent, il faut plutôt créer les conditions pour que les gens formés ne partent pas. Mieux, il faut réinvestir dans l’enseignement public, redorer l’université nationale du Burundi. Les dirigeants doivent croire dans le système public.

Au cours d’un voyage au Burkina Faso, un journaliste m’a raconté qu’un jour le père de Thomas Sankara est tombé malade. Son fils était alors président. Le médecin qui l’a examiné, pensant bien faire, a fait tous les papiers pour que le père de Sankara aille se faire soigner en France. Quand le Président Sankara a appris cela, il a refusé. Son père devait se faire soigner dans son pays comme n’importe quel citoyen. Cela peut paraître anecdotique, mais le message du jeune Président était fort : croire dans le système de santé de son propre pays. Question : où se font soigner nos dirigeants ? Pas seulement les Burundais. Mieux, faites ce petit exercice : prenez quelques noms de chefs d’Etats africains décédés, allez sur Google et faites le compte de ceux qui sont décédés dans un hôpital dans leurs propres pays…