Burundi
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« L’affaire Bunyoni » : un véritable test pour le Président Neva

Deux journalistes, Abbas Mbazumutima et Antoine Kaburahe font la synthèse de ce que l’on peut comprendre de « l’affaire Bunyoni ». Un exercice difficile tellement la question est sensible et la rétention de l’information semble la règle.

Quand après plus de 5 jours de silence, le ministère de la Communication se fend d’un tweet pour inviter les journalistes à être « professionnels », beaucoup de journalistes ont tiqué. Apparemment, ce ministère complètement absent depuis le déclenchement de cette crise aurait souhaité le « blackout ».
Dans sa conférence de presse tenue ce lundi 24 avril, la présidente du CNC, Me Vestine Nahimana reconnaît que ’’nous avons passé une semaine chaude avec beaucoup de rumeurs (sur l’affaire AG Bunyoni)’’. Elle a félicité ’’les médias qui n’ont pas versé dans ces rumeurs et a mis en garde ceux qui ont propagé des informations non vérifiées ».

Certes, certains traitements médiatiques sont à déplorer, mais à l’heure des réseaux sociaux, il est quasiment impossible d’empêcher les citoyens de parler ou d’écrire et malheureusement à relayer tout ce qui tombe sur les smartphones.

Pour éviter les « rumeurs », le ministère de la Communication aurait dû assumer son rôle : s’exprimer. Car la personnalité, objet de toutes les attentions n’est pas n’importe qui. Le ministère de la Communication a raté une occasion de continuer à se taire. Soit.

Revenons à l’essentiel. La gestion de ce qu’il convient d’appeler désormais « l’affaire Bunyoni ». Cette affaire constitue un test de survie pour le « système au pouvoir ». Nous utilisons exprès l’expression « système », mieux indiquée et tout le monde comprend.

Mais est-ce l’épilogue d’une crise qui couvait depuis de longs mois ou le début d’une « décomposition-recomposition » du système, pour reprendre l’expression de l’ancien Président Ntibantunganya ?

Un bref rappel de cet engrenage : M. Bunyoni, selon plusieurs sources, était ambitieux. Sans entrer dans les détails, il est établi qu’il s’était considéré comme le dauphin naturel du Président Nkurunziza et qu’il a mal vécu l’élection de « Neva ».

Au fil du temps, entre les deux personnalités, ce qui devait arriver est arrivé : une hostilité ouverte. AG Bunyoni s’est retrouvé dans le collimateur du chef de l’Etat. Par médias interposés, les deux personnalités se sont lancé des fléchettes avant que le Président n’opte pour l’artillerie lourde, des boulets .

Dans ses discours, le Président dénonçait la corruption, les collaborateurs qui ne l’aident pas ou qui sabotent son action. Souvenez-vous de l’épisode « Maconco », ce prince qui avait tous les privilèges, mais qui en voulait toujours plus, ce qui finit par précipiter sa chute, d’après la légende.

Dans cette entreprise de déboulonner son rival, le Président Ndayishimiye était servi par le comportement de l’ancien Premier ministre. Pendant de nombreuses années, « AGB » a étalé une richesse « bling bling », indécente, aux yeux de la plupart des Burundais aux prises avec la cherté de la vie.

Il a construit et inauguré des palais pharaoniques, partagé les photos et vidéos de ses voitures assorties à ses habits et bijoux de luxe … un vrai prince qatari. Quand il faisait ses courses à Bujumbura, des rues étaient bloquées.

L’on se souviendra de la sécurité très renforcée autour de lui quand il se déplaçait à l’intérieur du pays. Encore une manière de démontrer sa puissance et ses richesses. Au même moment de nombreux Burundais étaient en train de sombrer dans la paupérisation.

Dans cette lutte, le Président partait donc favori. Mieux, la Constitution du Burundi donne des pouvoirs énormes au chef de l’Etat. Lentement, mais sûrement, la machine s’est mise en branle. Une pièce en trois actes.

Acte I : le Premier ministre est publiquement comparé au prince Maconco connu dans l’histoire du Burundi dont la cupidité finira par le perdre.
Acte II : le Premier ministre est limogé. La machine à broyer a continué son œuvre.
Acte III : l’ancien Premier ministre est arrêté.

De « fugitif » à détenu

Pendant plusieurs jours, il est évident qu’il y a eu un flottement sur la conduite à tenir pour gérer un détenu très encombrant. Le Burundi compte des dizaines de Généraux, mais AGB n’est pas n’importe quel Général.

Ce qui expliquerait d’ailleurs les difficultés du pouvoir à communiquer. Mais le silence était devenu intenable, surtout que la famille de l’ancien Premier ministre n’arrêtait pas de communiquer et les médias continuaient leur travail.

L’idée a été d’impliquer la CNIDH pour reconnaître enfin qu’il est dans les mains des services de sécurité. Par un tweet, la CNIDH a annoncé que « la Commission a effectué une visite pour s’entretenir avec le Général Alain Guillaume Bunyoni. Il se porte bien. Il n’a subi aucun acte de torture ou tout autre abus, depuis son arrestation. Sa famille en a été informée. Le processus suit son cours normal. »

Sauf que l’annonce de la CNIDH pose question. Normalement, la commission travaille selon un protocole bien établi :

• La commission examine si la procédure d’arrestation est conforme à la loi, s’il n y’a pas de vice de procédure ;
• La commission vérifie si l’infraction pour laquelle le détenu est poursuivi est reconnue par le Code pénal burundais ;
• Enfin, last but not least, les commissaires de la CNIDH vérifient les conditions de détention de la personne arrêtée.

Dans ce tweet, on n’apprend rien de tout cela, même le lieu de la détention n’est pas mentionné. Est-ce que des commissaires ont effectivement rendu visite à l’ancien Premier ministre ?

Les jours à venir seront riches de rebondissements. Un ancien Premier ministre n’est pas un simple « quidam ». L’opinion publique ne peut pas se contenter d’un simple tweet de la CNIDH et des questions légitimes restent sans réponses : quel est ce « processus » qui suit son cours normal » ?
En principe, une personne arrêtée a des droits, dont le droit de visite, celui d’avoir accès à des avocats pour sa défense. Bref, le tweet laconique de la CNIDH a laissé le public sur sa faim. Heureusement qu’il y a eu d’autres précisions avec l’émission publique des porte-paroles des institutions.

Une question des rapports de force

Dans tous ses discours, le Président de la République appelle la Justice à travailler de manière impartiale, libre et indépendante. Elle a une occasion en or de redorer son blason.

Un procès public, juste et équitable, serait la preuve qu’il y a une cohérence entre le discours officiel et la réalité. Un tel procès signerait la fin de ces privilèges de fait. Le symbole serait fort aux yeux des Burundais et du monde : il n’y aurait plus des « bihangange », des intouchables au-dessus de la loi. Ce serait une mue importante d’un pouvoir qui a toujours privilégié les ’’règlements’’ à l’amiable et en interne.

Sur la conduite à tenir pour la suite, le Président ferait face à plusieurs courants qui s’affrontent parmi les hommes forts du pouvoir : ceux qui pensent à la survie du cercle des généraux hostiles à un procès avec le déballage public qui va avec et tous les dommages collatéraux. Les tenants de ce courant préviennent : les dégâts risquent d’être profonds, voire irréparables pour le parti.

Mais le Président sait aussi que les Burundais et l’opinion internationale vont suivre de très près la gestion de ce dossier. M. Ndayishimiye qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille joue gros avec « l’affaire Bunyoni », une affaire qui tombe au moment où son gouvernement tente de convaincre les institutions financières internationales sur son engagement à une meilleure gouvernance.

Neva a franchi le Rubicon. Il ne peut plus reculer

Depuis la présidence de feu Nkurunziza, il y a toujours eu des groupes d’intérêts, des cercles d’influence constitués d’hommes d’affaires et de généraux très puissants. Et ce n’est pas toujours de toucher à un de ses « bihangange ».Souvenez-vous de l’expérience de 2013. Feu président Nkurunziza dont la mainmise sur le système était reconnue avait tenté d’éloigner à l’époque l’ancien Premier ministre Bunyoni et feu Lt général Adolphe Nshimirimana, pour finalement revenir sur sa décision.

Mais en définitive, tout est rapport de force. L’exemple, c’est la déchéance de Radjabu, alors puissant président du parti. Une année après l’accession au pouvoir du Cndd-Fdd, feu président Nkurunziza n’a pas hésité à écarter Hussein Radjabu : il avait l’aval des autres généraux.

Aujourd’hui, il est difficile de faire une vraie lecture des courants et forces en présence. Elles se regardent, se jaugent. Une source haut placée et généralement bien informée dit que « tout le monde est dans l’expectative. » L’Affaire Bunyoni est réellement un test pour le Président Evariste Ndayishimiye. Il a franchi le Rubicon. Impossible de reculer. Alea jacta est.