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Canada: le Chemin Roxham, l'anomalie administrative à l'origine de la crise migratoire au Québec

Dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien québécois La Presse début février, des avocats et des organismes d’aide aux immigrants se questionnent sur l’approche à adopter face au Chemin Roxham. Un nombre record de demandeurs d’asile ont emprunté l’an dernier cette voie de passage non-autorisée entre les États-Unis et le Canada.

Sur les presque 9 000 km de frontières qui séparent les États-Unis et le Canada, les quelques centaines de mètres du Chemin Roxham ne représentent même pas un point virgule. Pourtant, ce chemin de campagne, situé dans l’Est des États-Unis, jouit d’une véritable notoriété.

En théorie, elle est interdite à toute circulation. Sauf que sa proximité avec une route proche d’un village la rend facile d’accès à toutes celles et à tous ceux qui fuient la guerre et la persécution. Lorsqu’ils ne peuvent pas passer aux postes frontières officiels faute de visas, les demandeurs d’asile prennent le risque de suivre ce chemin interdit, et de se faire arrêter par la police canadienne qui les attend à l’autre bout. Le Canada a en effet l’obligation d’accueillir des potentiels réfugiés.

En 2022, 40% des 92 175 demandeurs d’asile arrivés au Canada, ont emprunté cette route dérobée, un véritable record. Des gens seuls, des familles, qui bien souvent ont bravé tous les dangers et remonté les Amériques du Sud au Nord pour demander l’asile. Des gens qui viennent du Mexique, de la Colombie, du Nigéria et surtout d’Haïti, mais également de la Turquie et du Soudan.

Depuis 2004, un accord lie les États-Unis et le Canada. Il spécifie que tout demandeur d’asile doit présenter sa requête dans le premier des deux États où il arrive. Cela veut donc dire que les douaniers canadiens refoulent n’importe quel réfugié potentiel provenant du territoire américain. Voilà pourquoi tant de personnes empruntent le Chemin Roxham, que l’on pourrait qualifier d’erreur administrative. D’autres dénoncent plutôt l’hypocrisie du gouvernement canadien qui permet sans le dire de contourner son propre système.

►À lire aussi : Au Canada, un nombre record de demandeurs d'asile, mais peu de moyens

Crise humanitaire en vue

Lorsqu’ils l’utilisent, les immigrants peuvent déposer une demande d’asile au Canada, et arrivent ensuite à Montréal, situé à seulement 40 minutes en voiture de la frontière américaine. Là, les services d’aide du Québec les prennent en charge pour leur offrir un toit et une aide administrative de quelques semaines. Sauf que l’afflux de personnes vivant la même réalité rend la situation chaotique. En 2022, 40 000 personnes ont emprunté le Chemin Roxham, contre 19 000 en 2018, pourtant une année record. Théoriquement, le gouvernement canadien finance l’aide aux réfugiés, mais l’argent ne suit pas.

Confrontés à la crise du logement, dans une ville où les appartements à prix abordable brillent par leur absence, et sans possibilité de travailler, car les délais d’obtention des documents nécessaires s’allongent, bien des demandeurs d’asile se retrouvent à la rue. La maigre allocation de secours qu’ils reçoivent ne suffit pas. Le Refuge des jeunes que dirige France Labelle en accueille plusieurs.

« Les intervenants de notre organisme tentent de les aider à rédiger les documents pour obtenir le statut de réfugié, explique-t-elle. Mais ils ne sont pas formés pour ça ! Souvent, ces jeunes arrivent ici avec des traumatismes, car ils ont vécu des choses très difficiles sur la route, ou dans le pays qu’ils ont fui. Il ne s’agit pas de notre clientèle habituelle… » Comme le Refuge des jeunes, des banques alimentaires, des associations qui fournissent des vêtements, des meubles, font face à une demande croissante de celles et de ceux arrivés au Canada en rêvant d’une vie meilleure.

Un demandeur d'asile arrive à un contrôle de police près de la ville québécoise de Hemmingford, le 24 avril 2022.
Un demandeur d'asile arrive à un contrôle de police près de la ville québécoise de Hemmingford, le 24 avril 2022. © Christinne Muschi / Reuters

Comment aider les plus vulnérables ?

« Chaque jour, je dois refuser des familles qui viennent cogner à notre porte, s’indigne Eva Gracia-Turgeon, coordonnatrice du Foyer du monde dans le centre de Montréal. Avec seulement 45 places disponibles, nous ne sommes qu’une goutte dans l’océan des très nombreux demandeurs d’asile sans logement. » Fin janvier, le milieu associatif a lancé un cri du cœur au gouvernement pour mieux aider ces personnes vulnérables. Tour à tour, les organismes ont déploré le manque de ressources qui les empêche de répondre à ce qui ressemble de plus en plus à une crise humanitaire majeure, particulièrement dans la métropole québécoise, Montréal.

Pour régler la situation, le Premier ministre du Québec, François Legault, demande au Canada de fermer le chemin Roxham. Une solution que même sa ministre de l’immigration refuse, car elle craint que les gens n’empruntent des chemins plus dangereux. L’Association québécoise des avocats en droits de l’immigration, qui a lancé une lettre ouverte, réclame, elle, une révision de l’entente des tiers-pays sûrs entre les États-Unis et le Canada. « Les demandeurs d’asile pourraient ainsi se présenter aux postes frontaliers réguliers, comme c’est déjà le cas dans les aéroports », propose les juristes. Cela répartirait mieux leur nombre à travers le Canada.

Le gouvernement central canadien garde le silence sur ce dossier, lui qui discute, paraît-il depuis plusieurs années, de cette question avec les autorités américaines. Le président américain Joe Biden doit venir à Ottawa en mars rencontrer le Premier ministre canadien Justin Trudeau. L’occasion peut-être de clarifier enfin la façon dont demandeurs d’asile arrivent au Canada.

►À écouter aussi : Reportage Interantional - Québec: les demandeurs d'asile confrontés au manque de services