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Daniel Rouxel, «enfant de la honte» sorti de l’ombre

Daniel Rouxel est né d’une mère française et d’un père soldat allemand durant la Seconde Guerre mondiale. En France, ils sont environ 200 000 enfants franco-allemands à partager son histoire. Une histoire souvent douloureuse.

Aujourd’hui, Daniel Rouxel est fier d’être Allemand. « Regardez, "Bundesrepublik Deutschland, Einbürgerungsurkunde". Ça veut dire : République fédérale d’Allemagne, certificat de naturalisation. » Accrochés à côté du précieux document, un petit drapeau allemand et une photo de lui, devant l’ambassade d’Allemagne à Paris.

Les murs de son appartement du Mans, dans la Sarthe, sont truffés d’articles de presse et de photos. « Voilà, ça, c’est ma famille allemande », annonce-t-il fièrement en pointant du doigt un collage de portraits. Le père de Daniel Rouxel était originaire d’Unterweissach, non loin de Stuttgart. Sa mère, Française, venait d’un petit village des Côtes d’Armor, en Bretagne. Plus de 1 000 kilomètres séparent les bourgades d’Otto Daniel Ammon et de Léa Rouxel. Et pourtant, ils se sont rencontrés.

C’était en 1942. Entre 1940 et 1944, le Reich allemand occupait alors la France. Pendant ces quatre ans, entre 40 000 et 200 000 militaires allemands étaient déployés dans l'Hexagone.

Un jour, alors qu’elle rentre du travail, la mère de Daniel Rouxel, Léa, déraille à vélo, juste à côté de la base aérienne des troupes allemandes. Otto Daniel Ammon passe alors en voiture, s’arrête et, puisqu’il parle bien français, engage la discussion. Il l’invite à venir travailler à la cantine du camp allemand. C’est ainsi qu’ils se rapprochent. « Ils étaient amoureux », sourit Daniel Rouxel. Quelques mois plus tard, en avril 1943, il était né.

Dans son salon, plusieurs boîtes avec des documents et des photos s’empilent. « Ça, c’était mon père et ma mère. » Mais son père ne le verra qu’une seule fois dans sa vie. « Il m’a embrassé », raconte Daniel Rouxel, trop jeune à l’époque pour s’en souvenir. À la fin de la guerre, en 1945, son père décède. Il succombe à ses blessures à la suite d’un bombardement.

Au lendemain de la Libération, sa mère part s’installer à Paris. Elle est considérée comme une paria, car sortir avec l’occupant, l’ennemi, le « boche », responsable de nombreux crimes de guerre, est une honte. Jusqu’à ses quatre ans, Daniel Rouxel vit en famille d’accueil, puis est envoyé, seul, chez sa grand-mère à Mégrit, en Bretagne. « Elle m’a considéré comme un étranger. Elle m’interdisait que je lui dise "tu". Il fallait lui dire "vous". Elle ne s’occupait pas de moi », se souvient-il.

« On ne parle pas avec le boche ! »

Dans son enfance, dans les années 1940 et 1950, la guerre et les crimes commis par l’occupant allemand sont encore très présents. Selon Mathias Delori, politologue et historien rattaché au Centre Marc Bloch à Berlin, on peut même parler de « germanophobie qui n’était pas seulement présente dans les masses, mais aussi dans les élites ». Les enfants issus d’unions franco-allemandes durant la guerre – pas toujours d’amour d’ailleurs – ont souvent été appelés des « enfants de l’ombre » ou, pire encore, « de la honte ».

Pour la grand-mère de Daniel Rouxel, il était un « fils de boche ». « Elle m’enfermait presque chaque jour dans un poulailler. C’était une punition, pour que les gens voient que l’Allemand était puni. » Les poules, les pigeons et les rats lui montaient dessus. Pour se venger, il cassait les œufs.

Et à l’école aussi, blond aux yeux bleus, il était harcelé en raison de son origine. Dans la France de l’époque, cela suffisait pour attiser la haine, surtout quand on n’avait pas de père. « On m’ignorait, les camarades de classe ainsi que l’instituteur. » Leur devise : « On ne parle pas avec le boche ! ». « Cela m’a blessé quand ils m’appelaient ainsi. J’étais très malheureux. » Au point qu’il a voulu mettre un terme à sa vie à deux reprises. « C’était le chagrin. Les Français me racontaient toujours des histoires à propos des Allemands, dans le but de me faire du mal. Et ça me faisait pleurer. »

Toute son enfance, il a eu honte d’être un fils d’Allemand. À 16 ans, il quitte enfin le village de sa grand-mère. Il devient dessinateur industriel, puis s’installe au Mans. L’image des Allemands en France commence à évoluer au début des années 1960, quand Charles de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer signent le traité de l’Élysée (dont on fête les 60 ans cette année), considéré comme la pierre fondatrice de l’amitié franco-allemande. Par la suite, les échanges entre les jeunes des deux pays, les gestes diplomatiques de réconciliation – par exemple, le discours de Charles de Gaulle à la jeunesse allemande à Ludwigsbourg, la célébration d’une messe commune à Reims – se multiplient. L’opinion publique change.

Comme beaucoup de Franco-Allemands qui partagent son histoire, il ne commence à en parler ouvertement qu’au début des années 1990. Aujourd’hui, quand on arrive chez lui, sur sa sonnette, juste en dessous de son nom, on retrouve le logo de l’association « Cœurs sans frontières », dont il a été l’un des co-fondateurs en 2005. À l’occasion de la parution du livre Enfants maudits*, rassemblant de nombreux témoignages, il est invité avec d’autres enfants franco-allemands nés durant la guerre au « Deutsche Dienststelle » à Berlin, le Bureau allemand des états de service. À la suite de cette rencontre, ils décident de s’unir dans la recherche de leurs pères. Depuis, l’association franco-allemande a retrouvé « une bonne centaine de pères », d’après la présidente actuelle, Chantal Le Quentrec. 

Daniel Rouxel est aujourd’hui fier d’être Allemand. « L’Allemagne, je l'avais toujours dans mon cœur. Je me sens Franco-Allemand », revendique-t-il, en montrant ses deux passeports, celui de la République française et celui de la Bundesrepublik Deutschland.

À écouter : France - Allemagne : Comment les peuples se sont réconciliés

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