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«La mort de Jiang Zemin pourrait donner à certaines voix critiques l’idée de s’exprimer»

Entretien

Alors que la Chine connaît un mouvement de protestation inédit contre la politique du zéro Covid, la mort de l'ex-président Jiang Zemin, figure de l'ouverture du pays dans les années 1990 et artisan de la montée en puissance de l’économie chinoise, pourrait avoir valeur de symbole face à la répression systématique des voix dissidentes. Entretien avec Philippe Le Corre, chercheur spécialiste de la Chine à la Harvard Kennedy School, professeur à l’Essec et ancien correspondant de RFI à Pékin. 

RFI : De quelle manière les deux mandats de Jiang Zemin (1993-1998, 1998-2003) ont-ils marqué l’histoire récente de la Chine ?   

Philippe Le Corre : Il va présider à une période d'internationalisation de la Chine, encourager les entreprises à investir, à commercer avec le reste du monde. La Chine va rejoindre l'Organisation mondiale du commerce et c’est lui qui va présider à ces discussions, face à une administration Clinton assez peu disposée à lui ouvrir la porte. Il y aura également les pourparlers à six autour de la Corée du Nord, qui se tiendront à Pékin avec un succès mitigé, mais c'est une démarche de médiation internationale qui fait presque rêver aujourd'hui, dans le contexte ukrainien où la Chine refuse de jouer ce rôle. Sans oublier, de manière générale, la croissance économique à deux chiffres d’une Chine qui, à l’époque, montre son envie d'être un membre actif de la communauté internationale, que ce soit au niveau sociétal, économique ou diplomatique.  

Sur le plan personnel, Jiang Zemin est décrit comme un personnage politique atypique : bavard, affable, amateur de culture occidentale. Vous qui l’avez interviewé et côtoyé lorsque vous étiez journaliste pour RFI à Pékin dans les années 1990, quelle a été votre impression ? 

Il était effectivement assez rigolard, il faisait beaucoup de plaisanteries, il parlait anglais, il avait une appétence pour les langues étrangères, il avait envie d'interagir avec les gens. Cela dit, c'était aussi un défenseur du Parti communiste chinois, soumis à une pression très forte de ses cadres dirigeants. Je me souviens d'une conférence de presse à Seattle, aux États-Unis, au cours de laquelle il avait réagi de manière assez véhémente à plusieurs questions sur les droits de l’homme, en disant que de toute façon, le plus important pour la Chine, c'était de nourrir plus d'un milliard de personnes et que c’était ça, les droits de l'homme.

Mais si l’on fait les comptes, j’ai tout de même pu, en tant que journaliste étranger, interroger le numéro chinois et le rencontrer à l’occasion de différentes conférences de presse, c’était relativement ouvert. Si l’on compare avec la situation actuelle, c’est totalement impossible pour les journalistes occidentaux, ce qui montre à sa manière le changement de régime et l’évolution qu’a connue la Chine depuis le milieu des années 1990. 

La mort de Jiang Zemin peut-elle influer dans un sens ou dans l’autre sur les mouvements de protestation que connaît la Chine ces derniers jours ? 

On pourrait se référer à la mort de Hu Yaobang, qui était, lui aussi, un ancien secrétaire général du Parti, dont le décès avait déclenché les événements de 1989. En Chine, les décès de personnalités sont souvent des détonateurs, il n’est donc pas du tout exclu que l’on perçoive des signes liés à cet événement, même si Jiang Zemin avait 96 ans et que ce n’était pas une star dans la jeunesse chinoise. C’est tout de même un ancien dirigeant qui a joué un rôle en coulisses assez important, surtout au début des années Xi Jinping. Sa mort peut donner à certaines voix critiques l’idée de s’exprimer, de comparer, disons, la période des Trente Glorieuses avec celle d’aujourd’hui où la Chine s’est refermée sur elle-même et entre beaucoup moins en relation avec le reste du monde.