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Le Canada fait face à une augmentation des saisies d'armes à feu imprimées illégalement

Ce qui n'était encore qu'une vague inquiétude il y a dix ans est désormais une réalité : des armes à feu fabriquées grâce à des impressions 3D, intraçables, circulent sur le continent nord-américain. Venu des États-Unis, le phénomène prend de l'ampleur au Canada.

De notre correspondant à Montréal,

Imaginez. Vous vous connectez sur un site et payez quelques dizaines de dollars pour acheter un programme et un kit de montage. Vous lancez ce programme dans votre imprimante 3D, achetée 300 $, et en quelques heures, une crosse de fusil d'assaut en plastique se dessine. Vous n'avez plus qu'à bricoler une demi-journée, le temps de fixer ensemble la crosse et des parties métalliques commandées légalement, et vous avez une arme à feu. Impossible ? Aux États-Unis, la pratique est légale. Au Canada, c'est illégal, mais des particuliers sont de plus en plus nombreux à tenter l'expérience.

Tendance à la hausse

Une tendance qui inquiète les autorités policières de tout le Canada, confrontées de plus en plus aux armes imprimées. Radio Canada s'en est fait l'écho en début d'année, en menant l'enquête auprès de dizaines de services provinciaux. Les chiffres sont édifiants. À Calgary, dans la province de l'Alberta, la police avait saisi deux armes à feux imprimées illégalement en 2020 et en 2021. En 2022, dix-sept armes imprimées ont été saisies. Au total, la police a confié avoir récupéré la même année 100 armes à feux construites grâce à l'impression 3D dans tout le Canada, mais des provinces comme Québec n'ont pas souhaité communiquer sur le sujet.

« Mes sources policières me disent que le phénomène est en augmentation, même ici au Québec, dans la petite ville de Trois-Rivières, où des armes imprimées ont été saisies il y a quelques semaines chez quelqu'un qui en produisait à la maison », confie Francis Langlois, membre associé à l'Observatoire sur les États-Unis de l'université du Québec et expert sur la question des armes à feux aux États-Unis et au Canada.

Une idée américaine

L'enjeu est loin d'être nouveau. Cody Wilson, un Américain libertarien originaire du Texas, est devenu, en 2012, le porte-étendard de l'impression d'armes. Il avait alors fait la démonstration de la possibilité d'imprimer un pistolet. Depuis, il lutte pour autoriser l'impression artisanale au nom des deux premiers amendements de la Constitution américaine, et a obtenu gain de cause en 2018, sous le mandat de Donald Trump. Son site internet est maintenant une référence dans le domaine, et les Américains peuvent dorénavant imprimer des armes en 3D chez eux.

La différence par rapport à 2012, ce sont les avancées technologiques récentes et l'adaptation des utilisateurs, qui ont permis le développement de la pratique. Alors que le pistolet inventé par Cody Wilson ne fonctionnait que six coups avant de se détruire, les armes produites aujourd'hui par impression durent plus longtemps. Les fabricants en herbe se sont adaptés, remarque Francis Langlois : « On voit de plus en plus d'armes hybrides, dont les composants les moins critiques sont imprimés en polymère, matériau devenu plus résistant au fil des années, et le reste est composé de parties métalliques. »

En 2021, Joe Biden a tenté de juguler le phénomène en visant spécifiquement les livraisons de composants d'armes. « Étant donné que le fédéral a le pouvoir de réguler le commerce entre les États de l'Union, Joe Biden a serré la vis au niveau des transporteurs comme UPS et autres Fedex de ce monde. Il est devenu plus complexe d'exporter ce genre de pièces métalliques. » Les autorités fédérales américaines ont donc étendu un peu la définition d'arme à feu en ciblant ses composants majeurs, qui ne peuvent plus être livrés entre les États. Mais il est encore possible de réaliser des armes en 3D en commandant des composants métalliques au sein d'un même État. Or, cette façon d'assembler les armes fait aussi son chemin de l'autre côté de la frontière.

Contourner la loi, adapter la loi ?

Au Canada, la possession d'armes est de plus en plus régulée depuis les années 1970. Dans cette perspective, il est interdit d'imprimer des armes à feu chez soi. Mais un Canadien peut très bien commander des pièces métalliques détachées sur internet, utiliser son imprimante 3D pour dessiner les parties manquantes, et obtenir une arme complètement intraçable.

Le véritable enjeu est donc de tracer systématiquement les pièces métalliques, et pas de numéroter seulement la crosse, reproductible en 3D. C'est l'un des points sur lequel devra statuer le projet de loi C-21 qui modifiera la régulation des armes à feu au Canada dans les prochains mois. Francis Langlois a d'ailleurs été invité par le comité chargé de son évaluation. « Une de mes recommandations était de forcer les fabricants à identifier toutes les composantes d'une arme. Il faudrait élargir la définition de l'arme à feu, du canon à la culasse, en passant par la gâchette, mettre des numéros de série sur ces composants, et demander aux gens qui en achètent, qui en produisent, d'avoir un permis, ou en tout cas du moins, de notifier les autorités », raconte le chercheur.

Mais le phénomène d'impression 3D n'est pas encore la priorité en matière d'armes à feu. Pour Francis Langlois, le risque est encore marginal au regard des 400 millions d'armes légalement en circulation chez le voisin étasunien. « Le Mexique comme le Canada ont le même souci : une partie de ces armes traversent régulièrement les frontières. » L'impression 3D d'armes à feu deviendra donc un véritable enjeu quand il sera devenu réellement difficile de se procurer une arme sur le continent américain.