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Samuel Lalande-Markon, parcourir la puissance des territoires boréaux du Québec

Le 1er février 2023, Samuel Lalande-Markon s'était lancé pour un périple de 2 725 kilomètres de l'extrême sud à l'extrême nord du Québec. Ce Montréalais de 37 ans, musicien professionnel et sportif aguerri, cherche à parcourir le continent américain par tous les moyens pour mieux le ressentir.

De notre correspondant à Montréal,

La façade colorée de l'établissement dans lequel Samuel Lalande-Markon a fixé son entrevue détone dans la grisaille du ciel de Montréal. Entièrement consacré à la musique, le café propose à la vente une vaste collection de vinyles, et des trentenaires à la barbe soigneusement négligée et au bonnet coloré font défiler les pochettes un cappuccino à la main. À l'extérieur, un vaste tuba jaune stylisé est tagué sur le mur de brique latéral : l'instrument fétiche de Samuel.

Car avant d'être un aventurier, Samuel était un musicien professionnel. Dès son plus jeune âge, il joue de son instrument, puis poursuit des études en musicologie, jusqu'à la maîtrise et la première année de doctorat, réalisées à New York. En parallèle, il suit des études de gestion culturelle. Des problèmes physiques - il ne souhaite pas en parler - l'ont poussé à lever le piston, et son engagement absolu s'est transporté dans une autre forme d'investissement : le défi sportif. « Dans la première partie de ma carrière, je montais des projets artistiques et je jouais de la musique. Monter des projets, faire des communiqués, pratiquer un instrument… Être aventurier requiert le même niveau de rigueur, ça m'a beaucoup aidé dans mes premiers projets », considère le Montréalais de 37 ans, le regard franc et le verbe clair.

Scout rêveur

Ses premiers projets ? Entre 2011 et 2013, relier San Francisco à Montréal à vélo en 42 jours ou encore traverser le Canada d'est en ouest. Pourtant, à l'origine, Samuel n'est pas un sportif de haut niveau. « J'ai la chance d'être dans une école où il y avait l'éducation physique tous les jours, donc mon corps s'en souvenait. J'ai commencé à faire du jogging, j'avais des bases… mais c'est après mon année de doctorat, en 2010, que j'ai vraiment commencé à intensifier mes efforts ». Course à pied, marathon, vélo… Son corps se prépare progressivement à partir pour des aventures.

Son esprit, lui, a toujours été tourné vers la nature, malgré une enfance passée à Montréal. Ses week-ends, il les passe en forêt, en randonnées. Il est inscrit chez les scouts, où il apprend les bases de la vie en pleine nature. « J'ai construit mon imaginaire en étant un garçon qui aimait jouer dans la forêt et les récits de montagne, d'expédition au Pôle Sud, m'ont toujours interpellé, aujourd'hui encore ; j'ai toujours su que je finirai par réaliser des expéditions ». Son imaginaire, il l'alimente en continu, d'aventures passées et présentes, citant notamment la série radio consacrée aux aventuriers oubliés de Serge Bouchard, animateur radio québécois.

Préparation méticuleuse

Le 1er février 2023, quelques jours après notre rencontre,Samuel a entamé la troisième partie de sa « trilogie du territoire québécois ». Du point le plus au sud du Québec, il parcourra d'abord 1 475 km à vélo. Il sera ensuite rejoint par un collègue aventurier, Simon-Pierre Goneau, qui avait déjà réalisé cette première partie en 2020 avant d'être arrêté par la pandémie. Ils continueront leur route ensemble, en ski, un traîneau harnaché au torse, le long de la banquise côtière de la baie de Judson, jusqu'à Anaulirvik (en inuktitut) / cap Wolstenholme.

Le trentenaire détaille : « J'ai passé une journée à empaqueter ma nourriture avec ma famille. J'aurai six ravitaillements au fur et à mesure du périple, dans des communautés inuites ». Matin et midi, un repas spartiate, mais énergétique, et le soir, un souper plus élaboré, entre pâtes et blanquettes de volaille. Toutes les nuits, sur la banquise, Simon-Pierre et Samuel dormiront dans une tente entourée de fils reliés à une charge explosive, pour faire fuir les ours polaires. « Il y a un risque bien sûr, mais ce qui nous inquiète le plus, c'est la fatigue et le risque humain. On a beaucoup trop planifié pour s'exposer à un risque réel, même si cela peut toujours arriver », concède Samuel.

Samuel ne se considère pas comme un professionnel, loin des explorateurs comme Nicolas Vanier et Mike Horn. Lui préfère arpenter son propre continent, limiter l'usage de l'avion et pratiquer une aventure moins exposée sur les réseaux sociaux. Ses partenaires se limitent à ceux avec lesquels il a des affinités particulières : un producteur de bière locale, pour l’apport purement financier, un sponsor pour son vélo et un autre pour sa connexion satellite. Il se finance également grâce à ses fonds propres, qu'il maintient à flot en travaillant le reste du temps comme designer de sites internet.

Ressentir le territoire

Samuel garde ainsi une profonde humilité, malgré les nombreuses aventures à son actif. À l'entendre, on pourrait presque croire que ce qu'il fait n'est pas si exceptionnel, qu'avec un peu de pratique et beaucoup de préparation, tout le monde pourrait y arriver. Surtout, il ne souhaite pas être désigné comme un explorateur : « Je comprends que certaines personnes utilisent ce terme, mais je ne me reconnais pas du tout dedans. Aujourd'hui, on passe toujours à un endroit qui a déjà été parcouru par des personnes, dans des situations bien plus périlleuses qu'aujourd'hui. »

Reste une question : pourquoi ? Pourquoi s'infliger des milliers de kilomètres, des centaines de jours d'efforts et autant de jours à récupérer ? Chez Samuel, il semble que la réponse est autant philosophique qu'artistique. « On est dans un monde qui manque de symbolique, qui manque de rituel, qui manque de transcendance. Je trouve que ce genre de projet là pour moi, c'est ma contribution à une société plus reliée au territoire, je donne du sens à ce qui m'entoure », estime Samuel. Il a trouvé dans l'appel du Nord une boussole presque addictive, et un sens de l'absolu qui fait écho à sa précédente implication dans la musique.

Samuel ne se voit plus arrêter ses projets. Après sa trilogie, il espère continuer les expéditions multisport, toujours sur le territoire québécois. D'un projet d'une vie, il admet avoir basculé dans une autre dimension : l'aventure comme mode de vie.