Le bilan ne cesse de s’alourdir à la suite du séisme de magnitude 7 qui a ravagé la région de Marrakech. Si c’est plus souvent le nord du pays qui est confronté à ce risque sismique, cet événement n’étonne pas Philippe Vernant, enseignant chercheur à l’université de Montpellier au laboratoire Géosciences Montpellier, spécialiste de tectonique active.
RFI : Que s’est-il passé cette nuit au Maroc ?
Philippe Vernant : Le Maroc fait partie des régions où la question n’est pas de savoir s’il va y avoir un séisme, mais quand il aura lieu. Nous sommes dans le Haut Atlas, une chaîne de montagnes qui fait partie de la région qui accommode la convergence entre la plaque africaine et la plaque eurasiatique au nord, ou la plaque ibérique pour la partie espagnole. Il y a des taux de déformation dans la région qui sont de l’ordre d’un millimètre par an. Ce n’est pas très rapide, mais ça suffit pour faire un séisme de temps et en temps et un fort séisme parfois. Ce qu’on a eu cette nuit, c’est simplement le résultat de l’affrontement des plaques tectoniques qui résulte en rupture sur une faille, et qui a donc fait ce qu’on appelle un séisme en faille, avec une partie qui vient chevaucher sur l’autre, dans la région du Haut Atlas.
Cette zone de convergence n’est pas plus au nord ?
Dans cette zone-là, c’est un petit peu complexe parce qu’on n’est pas directement sur une limite de plaques « simple », comme la faille de San Andreas aux États-Unis, ou même en Turquie. En fait, ça se répartit et ça se distribue sur une bonne partie du Maroc. Il y a une déformation assez faible au sud du pays, c’est-à-dire le Haut Atlas et l’Anti-Atlas. Elle est de l’ordre d’un millimètre par an. Au nord du pays, ce sont quelques millimètres par an : dans la région du Rif, et au sud de l’Espagne. Mais la zone de déformation est un peu élargie par des processus plus complexes dans la région, ce qui fait que ça distribue quand même beaucoup sur l’ensemble du territoire marocain.
Nous n’avons donc pas assisté à un séisme qui a eu lieu au milieu d’une plaque ?
Non, on n’est pas en plein milieu de la plaque, on est quand même sur le bord. Même si c’est vrai que compte tenu des vitesses de déformation qu’on mesure dans cette région-là, on pourrait parler aussi, un peu, d’intraplaque. Ce qui est complexe dans la région, c’est que sous la région du Rif, on a quelque chose qui est attaché sous la croûte terrestre, et qui est en train de tirer la zone du Rif, donc au nord du Maroc, vers le sud. Cela rapproche le Rif de l’Atlas et crée toute une zone de déformation à cet endroit-là. Nous ne sommes donc pas directement sur de l’intraplaque, mais on n’est pas non plus sur de la limite de plaques très classique.
Une telle magnitude vous surprend-elle ?
Non, parce qu’il y a déjà eu des magnitudes de cet ordre-là dans la région. Au XVIIIe siècle, il y en a eu autour de Fès-Meknès. Avec l’équipe de recherche à Montpellier et des collègues marocains, nous avions même retrouvé la trace de cette faille et de ce séisme, qui était probablement de magnitude 7 voire un peu plus. Il y a eu également le grand séisme de Lisbonne qui, lui, s’est produit plus au large, mais qui avait aussi quand même secoué le Maroc au XVIIIe siècle aussi. C’est donc une région qui est connue pour avoir une activité tectonique et sismique assez certaine. Ce n’est pas la première fois que le Maroc est frappé par un séisme. Il y avait eu le séisme d’Agadir, qui était beaucoup moins fort, mais qui était probablement moins profond et qui avait entraîné des dégâts énormes dans la ville.
Est-ce qu’on peut déjà anticiper des répliques, ou sommes-nous contraints d’attendre ?
Je ne me risquerai pas à cela, car je ne suis pas Nostradamus. Mais généralement, ça va plutôt en faisant des répliques qui vont diminuer. Mais on a déjà eu des cas où ça a déclenché un séisme plus gros pas très loin. Le modèle classique, c’est que ça va plutôt aller en s’atténuant, mais on n’est jamais à l’abri d’autre chose.
Y a-t-il un risque que ce séisme ait déstabilisé une autre faille, comme on l’a vu en Turquie ?
Quand on voit un séisme comme ça, normalement, il y a un gros séisme et après, ça va craquer un petit peu autour. Les répliques vont donc aller en s’atténuant. Mais on ne peut rien exclure. C’est comme un gros morceau d’élastique : on va entraîner des contraintes sur notre élastique un peu plus loin autour, et si on a d’autres failles qui sont proches de la rupture, elles peuvent être déclenchées par ce premier séisme.
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