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Tapi Yawalapiti, la lutte des indigènes d’Amazonie dans le sang

Après la mort de son père des suites du Covid-19 en 2020, le cacique du village Yawalapiti, dans le parc du Xingu, au Brésil, a repris le flambeau de la lutte pour les droits des indigènes. Il s’inquiète de l’attitude du gouvernement brésilien vis-à-vis de ces derniers.

De notre correspondante de retour du Xingu, en Amazonie brésilienne, 

Tapi Yawalapiti plisse les yeux et montre du doigt la pelouse jaunie par le soleil tout autour de lui. « Si on met le feu ici, on perd le contrôle, prévient-il, c’est la saison des incendies et il faut faire très attention. » Il nous a donné rendez-vous au pôle Leonardo Villas Boas, du nom d’un des frères qui ont fondé le parc indigène du Xingu, la plus grande réserve indigène du Brésil.

À 45 ans, Tapi est devenu chef du village Yawalapiti après la mort de son père, Aritana. L’ancien cacique était aussi le porte-parole du Xingu, où vivent seize peuples qui ont chacun des langues différentes. Malgré cette mosaïque, « Notre lutte nous unit », résume le t-shirt que porte Tapi ce jour-là. Un t-shirt blanc sur lequel apparaît une carte du Xingu avec les spécificités de la région : un tapir, des motifs et des instruments indigènes, et surtout le tracé de la rivière Xingu et de ses affluents. 

Près du pôle Leonardo, la rivière Tuatuari est de plus en plus sèche. Même si le parc du Xingu est théoriquement protégé par son statut et par la Funai, la Fondation nationale de l’Indien, il est difficile de contrôler les rivières alimentant le Xingu, à l’extérieur du parc. « On ne sait pas si l’eau qu’on boit est polluée, si les poissons qu’on mange sont intoxiqués », soupire Tapi. « Nous qui habitons la forêt, on sait la préserver, préserver les rivières, mais on sent l’impact du changement climatique ces dernières années. » Tout autour du parc du Xingu, la forêt a été remplacée par des champs de maïs et de soja à perte de vue.

Le cacique avait 19 ans quand il a commencé à suivre son père dans sa lutte pour les droits des peuples indigènes. « Mon père était un diplomate, raconte Tapi. Il avait compris que l’union fait la force. » Aritana était d’une autre génération, de ceux qui avaient participé à la démarcation des 26 000 km2 du territoire du Xingu, dans les années 1960. Il était le seul de la région à savoir parler tant de langues - six - pour pouvoir interagir avec les différents peuples. 

Deuil d’un an

Tapi se souvient de la pandémie de Covid-19 comme d’une véritable épreuve pour les siens. D’abord, parce que cette nouvelle maladie a mis à mal leur modèle de société. « Quand la règle est venue de l’extérieur, de la ville, disant qu’il fallait vivre séparés, ça n’a pas été possible pour nous, explique le cacique. On ne peut pas casser notre organisation sociale basée sur la collectivité. » Dans chaque village, les familles habitent les traditionnelles malocas, de grandes huttes communautaires où vivent une vingtaine de personnes, ce qui a accéléré la contamination des indigènes. 

Pendant cette période, guérisseurs traditionnels et médecins ont travaillé ensemble. Les pajés, des chamans qui fument un grand cigare pour communiquer avec les esprits du malade, agissent en premier. Puis vient le tour des raizeiros, spécialistes des thés à base de racines capables de soigner. Seulement après ces deux guérisseurs traditionnels arrive le médecin « classique » et ses médicaments. « L’utilisation de ces thés nous a permis de guérir plus vite », assure Tapi, qui souligne que, dans la plupart des villages, peu d’indigènes ont succombé au Covid. 

À lire et écouter aussi : Indigènes d’Amazonie: quand médecine traditionnelle et occidentale se complètent

L’autre épreuve, plus personnelle, a été la mort de son père. « J’ai perdu un compagnon de lutte », soupire Tapi. Selon la tradition du Xingu, le nouveau cacique a dû porter le deuil pendant un an, en observant la règle de la réclusion, c'est-à-dire sans pouvoir sortir de sa maloca. Au bout d’un an, le rituel du Kuarup, une fête où les différents villages se réunissent pour lutter, danser et chanter en hommage au défunt, met fin au deuil du village.

Seuls contre le gouvernement

Aujourd’hui, le cacique se sent prêt à assumer l’héritage de son père. Tapi, dont la langue maternelle est de la famille Aruak, parle cinq langues indigènes. Il a déjà rencontré le pape François et l’acteur Leonardo DiCaprio pour évoquer les menaces que subissent les peuples indigènes d’Amazonie. « Avec ce gouvernement, notre territoire, comme toutes les terres indigènes du pays, est menacé », pense-t-il. 

C’est la raison pour laquelle il se déplace souvent à l’étranger, en Europe en particulier, pour demander une aide financière et politique aux pays de l’ancien monde. « Car ici, nous sommes seuls, le président veut détruire notre maison. » Depuis le début de son mandat, le président Jair Bolsonaro mène une politique qui a encouragé la déforestation en Amazonie, dont les tristes records font régulièrement la Une des journaux. Selon l’Institut national de recherches spatiales (Inpe), 5 474 km2 ont été déforestés depuis le début de l’année 2022.

Pour le cacique, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva est le seul qui semble prendre au sérieux la cause indigène. Et pour continuer la lutte, Tapi compte sur ses cinq enfants. Les plus âgés, Kanawan, 18 ans, et Katuapo, 15 ans, suivent déjà de près l’engagement de leur père. Ils savent qu’un jour, ils prendront la suite de la lutte des indigènes du Xingu. D’ici là, Tapi espère voir un « autre Brésil » se dessiner, plus préoccupé par la préservation des ressources naturelles.