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Taxe sur les superprofits dus à la crise: «la France est de plus en plus isolée»

L’Allemagne souhaite que les profits exceptionnels, réalisés par certaines entreprises énergétiques grâce à l'envolée des prix du marché, soient mis à contribution pour soulager les factures des ménages, a déclaré dimanche 4 septembre le chancelier Olaf Scholz. Alors que les pays européens prennent tour à tour des mesures, la France refuse toujours de mettre en place une telle taxation. Trois questions à Quentin Parrinello, porte-parole de l’ONG Oxfam France.

RFI : L'Allemagne a décidé de mettre à contribution les superprofits des entreprises. Le gouvernement d’Olaf Scholz ne parle pas de taxe sur les superprofits, mais de prélèvement partiel. Quelle est la différence ? 

Quentin Parrinello : A priori, il s’agit de la même chose. Nous n'avons pas encore les détails, mais il se trouve qu'il y a un parti au sein de la coalition gouvernementale allemande, les libéraux, qui refusent d'utiliser le mot « taxe ». Mais le mécanisme devrait être assez similaire à ce qui a été adopté en Italie, et à ce qui devrait être adopté en Espagne, donc c'est plutôt une bonne nouvelle.

Quel est ce mécanisme, justement ?  

En Italie et en Espagne, effectivement, il y a une taxe sur ce qu’on appelle les « superprofits », qui va regarder la part des superprofits réalisés dans chaque pays. Donc, en Italie : la part sur le territoire italien ; en Espagne : la part sur le territoire espagnol... C'est la même chose au Royaume-Uni, cela existe en Grèce, cela va être adopté aux Pays-Bas.

Le mécanisme diffère un tout petit peu selon les pays, mais la philosophie est la même. Ces pays mettent à contribution les entreprises qui réalisent des superprofits sur le dos de la crise, celles qui, d'une certaine façon, spéculent sur le dos de la crise, et augmentent les prix pour finalement faire des marges exceptionnelles avant d'accorder des versements exceptionnels à leurs actionnaires sur le dos de la crise.

De quels secteurs ces entreprises que vous pointez du doigt viennent-elles ?

Dernièrement, les secteurs où l'on voit des superprofits sont plutôt des secteurs où il y a peu de concurrence. Ce sont des secteurs oligopolistiques, comme celui de l'énergie, évidemment. On pense à Total en France, à Repsol en Espagne, ou à Eni Italie.

Il y a également le secteur des transports, du fret maritime. On a eu en France les annonces des résultats exceptionnels de l'entreprise CMA-CGM qui, avec l’augmentation du coût du fret maritime, a réalisé plus de 14 milliards d’euros de bénéfices sur le premier semestre 2022. C'est presque autant que ce qu'ils ont fait sur toute l'année 2021. C’est aussi le cas dans le numérique, et dans le secteur pharmaceutique.

Quels sont les pays qui se sont prononcés en faveur de cette taxation ? Est-ce que la France est la seule à ne pas suivre ? 

La France est de plus en plus isolée. Le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie sont en train de mettre en place cette taxation. Les Pays-Bas et l’Allemagne viennent, eux aussi, de l'annoncer. On espère que la décision de l'Allemagne va mettre la pression sur le gouvernement français.  

Ce qui est inquiétant, c'est que l'argument utilisé par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire est simplement de dire « on n'aime pas les taxes ». C'est un peu léger.

Face à la situation, même en Allemagne où il y a un parti dans la coalition gouvernementale qui n’est pas forcément le parti le plus pro-fiscalité du monde, ils font preuve de pragmatisme pour mettre en place cette taxe sur les profits exceptionnels de la crise. On attend que le gouvernement français sorte de son dogmatisme.  

Combien pourrait rapporter cette taxation ? 

Cela devrait se compter en milliards. Nous sommes en train de chiffrer ce que rapporterait cette taxe. C'est un peu compliqué parce qu'on n'a pas accès à toutes les données.

La manière la plus simple, ce serait effectivement que les services de Bercy le fassent. On espère pouvoir proposer notre propre chiffrage dans les semaines à venir. Pour vous donner un ordre d'idée, en Italie et en Espagne, on est entre 5 et 15 milliards selon les différentes évaluations.

Pourquoi ne pas faire confiance aux entreprises qui pourraient redistribuer via des baisses de prix pratiqués ? C'est en substance ce qu'a dit Bruno Le Maire lors de son passage au Medef en début de semaine. 

Parce qu’on voit que les profits exceptionnels de ces entreprises donnent également des records de dividendes. Le profit d'aujourd'hui n'est pas l'investissement de demain. On voit bien que ça n’est pas de la redistribution, mais des versements records aux actionnaires pour aujourd'hui.

Deuxièmement, les gestes qui sont faits par certaines entreprises, je pense notamment à Total et à CMA-CGM, sont quand même relativement symboliques. Total a annoncé une ristourne de 0,20 euros [sur le prix du litre à la pompe, NDLR]. Certes, cela a un impact sur le prix à la pompe, mais cela ne leur coûte que 500 millions d'euros, alors que les bénéfices du groupe étaient au premier semestre de l'ordre de 18,8 milliards de dollars.

Il ne faut pas oublier que l'essentiel de la remise à la pompe est assuré par l’État. Cela nous coûte 4,4 milliards d'euros par an, il y a une forte mise à contribution des finances publiques. Pour nous, il y a un véritable enjeu de mettre également à contribution ces entreprises aux bénéfices exceptionnels.  

►À consulter aussi : France : l'idée d'une taxe sur les superprofits des géants de l’énergie de nouveau en débat