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[Critique théâtre] «Mettre au monde» : naître ou ne pas être

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De: Valentin Maniglia Dans A la Une, Newsletter


(photo Bohumil Kostohryz)

« Mettre au monde » de Renelde Pierlot avec Marianne Bourg, Nora Zrika, Stéphane Robles, Francesco Mormino est à voir au Grand Théâtre jusqu’à dimanche

Un postulat pour commencer : Renelde Pierlot a une façon unique de s’emparer des sujets de société que tous – y compris dans les arts – préfèrent mettre sous le tapis. Avec Voir la feuille à l’envers (2019), la metteuse en scène luxembourgeoise s’intéressait à la dépossession de la sexualité des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, en faisant participer activement le public à une forme inédite de théâtre déambulatoire. La maladie mentale et ses répercussions sur les liens familiaux étaient, elles, au cœur de Pas un pour me dire merci (2021), qui déroulait comme une boucle sans fin de scènes de repas à l’intérieur desquelles s’entrechoquaient les réalités et les personnages fictifs, historiques ou imaginés. Et Renelde Pierlot continue de creuser son sillon avec un nouveau sujet à double tranchant, invisibilisé aux yeux du monde mais qui déclenche les passions dès lors qu’il est évoqué : la gestation pour autrui (GPA).

Vous avez le choix. Vous avez toujours le choix

Toujours en équilibre entre le documentaire et la fiction, autant impliquée dans une somme de recherches impressionnante que dans la création d’un dispositif purement artistique, la metteuse en scène invite donc à traverser les coulisses du Grand Théâtre jusqu’à l’intérieur du Studio, où le public s’installe dans une tente circulaire et surélevée, pourvue d’un trou en son milieu : l’espace-concept où spectateurs et comédiens cohabitent est en réalité un utérus. Un cocon matelassé que chacun est libre d’habiter comme il le souhaite – assis, couché, yeux ouverts ou fermés… L’entrée en matière vise à faire retrouver le confort longtemps perdu du ventre maternel. Ou pas : «Vous avez le choix», entend-on. «Vous avez toujours le choix.»

Le «choix», parole fondamentale dès lors qu’on touche aux sujets de la naissance ou de la contraception, n’est jamais sans conséquences. Ce que Mettre au monde s’emploie à démontrer, en dévoilant une collection d’histoires vécues, recueillies par l’auteure puis transmises par les comédiens. On part de la découverte que fait un jeune homme sur sa naissance, le jour de ses 18 ans, et chaque nouveau témoignage en débloque un autre : le désir de recourir à la GPA pour un couple homosexuel, une mère porteuse ukrainienne enceinte de l’enfant d’un autre couple lorsque éclate la guerre, une femme fertile qui ne désire pas d’enfants mais qui est prête à aider ceux qui ne peuvent en avoir… Certains récits se terminent bien, d’autres non; c’est le lot de ces tranches de vie qui lient des inconnus entre eux et qui, chemin faisant, dévoilent les avis personnels des premiers concernés sur les questions d’éthique, de régularisation, de tolérance…

Dans un épilogue survolté, le voile se lève – littéralement – sur les questionnements moraux inhérents à la GPA, avec des comédiens qui se muent en intervenants d’un débat télévisé. Une conclusion nécessaire pour éclaircir des points que les récits de l’intime avaient encore tenus secrets; une cassure qui, au-delà de sa fonction ludique, fait ressortir les limites dont la mise en scène pouvait souffrir jusqu’alors. Car si l’on finit par plonger dans les différentes histoires, racontées les yeux dans les yeux par une distribution dont on peut sentir jusqu’au souffle, la pièce demande du temps pour y entrer, la faute à une première moitié trop statique, qui se marie difficilement avec la multiplicité des personnages (tous joués par quatre formidables comédiens). De la même manière, l’envie d’attiser les sens n’est jamais permise par le dispositif scénique immersif, à l’intérieur duquel la connexion intime est bien plus forte quand elle passe par le seul témoignage. Soit la preuve ultime de l’écriture sans faille de Renelde Pierlot, qui, si elle s’oublie parfois sur la complexité de sa mise en scène, n’a pas fini de montrer qu’elle est parmi les personnalités de théâtre les plus fascinantes du pays.