Un job assuré, une technique séculaire et des missions dans le monde entier : les facteurs d’orgue sont des experts recherchés, mais en Alsace, la seule école de France qui les forme peine à attirer les vocations.
Quand je dis que je suis facteur d’orgue, les gens se demandent si je travaille à la Poste», rigole Thibaut Metz, qui se forme en alternance au Centre de formation de la facture d’orgue à Eschau, près de Strasbourg. Comme ce garçon de 24 ans, une quinzaine d’étudiants y préparent un bac professionnel pour apprendre à fabriquer ou à réparer des orgues.
Déjà diplômé après trois années d’études, Thibaut vient de se relancer pour deux ans de formation en tuyauterie et s’entraîne à couler le métal en fusion au sein d’un atelier dans lequel on enseigne aussi l’ébénisterie et la mécanique. Ébéniste de formation et saxophoniste par plaisir, Salomé Bonneau, 28 ans, est la seule fille de sa promotion. «Ça combine le bois et la musique : c’est le métier parfait pour moi!
L’Alsace est une terre d’orgues, avec à elle seule 1 250 instruments sur les quelque 8 000 répertoriés dans l’Hexagone. Avec son importante communauté protestante, la région compte nombre de villages possédant une église catholique et un temple protestant, soit mathématiquement deux fois plus d’orgues. Depuis 1985, l’Alsace dispose aussi de la seule école nationale de formation de facteurs d’orgue, pour répondre aux besoins de main-d’œuvre de la centaine d’entreprises du secteur en France. En Europe, seules l’Allemagne et la Suisse possèdent des formations similaires.
Un métier méconnu
«Le métier de facteur d’orgue existe depuis le IIIe siècle avant J.-C.», rappelle Michaël Walther, responsable du pôle facture d’orgue au centre de formation. Mais la profession souffre de méconnaissance : «Les jeunes ne connaissent pas le métier. Beaucoup d’adultes me disent : « C’est un métier que j’aurais aimé faire, mais c’est trop tard. »» Les effectifs ont fondu depuis les débuts de l’école, fondée en 1985, en particulier en raison de la perte de la pratique religieuse : «L’orgue, c’est l’église, et l’église, c’est religieux : les gens n’y vont plus. On a bien quelques salles de concert avec des orgues, mais pas assez pour que ce soit un instrument culturel et pas cultuel», note le responsable.
En attendant, faute de main-d’œuvre, les entreprises de facture d’orgue peinent à répondre à la demande de leurs clients. «On pourrait engager trois personnes de plus, mais on ne trouve pas», se plaint Guido Schumacher, patron de la manufacture du même nom à Eupen, en Belgique, qui craint que nombre d’ateliers ne ferment à l’avenir faute de repreneur. Sans école en Belgique, Guido Schumacher envoie donc ses apprentis francophones se former à Eschau.
Le défi, c’est de s’adapter à l’instrument, car chaque orgue est unique
Jouxtant l’école alsacienne, l’entreprise Muhleisen est l’un des plus grands facteurs d’orgue de l’Hexagone. L’usine comprend une tour de 14 mètres de haut, dans laquelle peut entrer un orgue entier. «On monte l’orgue en atelier et puis on le démonte, et on le remonte pièce par pièce à sa destination finale», explique David Bleuset, employé de la société depuis 35 ans.
Bois, étain, cuir… l’entreprise fabrique elle-même les pièces utilisées dans ces instruments, à l’exception de la soufflerie. Elle dessine avec un logiciel les orgues neufs qu’elle conçoit, mais elle est surtout accaparée par la restauration d’orgues anciens, comme ceux des cathédrales d’Amiens et de Chartres, ce dernier en partenariat avec deux concurrents. «Les entreprises françaises ont trop de travail. On ne peut pas répondre seul à un appel d’offres», explique David Bleuset. Les employés sont souvent amenés à effectuer de longues missions en France ou ailleurs lorsqu’il s’agit de restaurer un instrument ou d’en installer un neuf. «On est par monts et par vaux. À chaque fois, le défi, c’est de s’adapter à l’instrument, car chaque orgue est unique», relève Michaël Walther.
«C’est assez magique ce qu’on fait»
Témoin des possibilités de carrière internationale : Didier Grassin, actuel président de la Société internationale des facteurs d’orgues (ISO). Ce natif de Poitiers a travaillé au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis, où il dirige l’entreprise Noack Organ, dans le Massachusetts. «On ne va pas chercher nos pièces en Chine ou sous-traiter au Guatemala : le gars qui travaille, il voit son produit fini», relève-t-il.
Malgré le manque de main-d’œuvre, les salaires du secteur restent faibles. Mais pour David Bleuset, c’est la passion qui compte. «Si on a des idées de salaire élevé, il ne faut pas faire ce métier. C’est assez magique ce qu’on fait.»