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Vendanges : «C’est de l’adrénaline pure»

Charlène Muller a la responsabilité de la cave, ce mois de vendanges est intense pour elle. (photo Melanie Maps)

Les vendanges, ça ne se passe pas que dans les vignes. Le travail à la cave est tout aussi important. Dans la cave Vinsmoselle de Grevenmacher, c’est Charlène Muller qui est aux commandes.

Charlène Muller (37 ans) est cheffe de la cave coopérative de Grevenmacher (Domaines Vinsmoselle) depuis 2008. Champenoise d’origine (ses parents possèdent un domaine à 5 km d’Épernay), elle veille sur la qualité des raisins que les viticulteurs lui apportent et doit gérer avec le plus de justesse possible le pressurage des moûts. Ce mois de vendange est le plus intense de l’année, celui où tout se joue. Cette énorme pression est épuisante, mais au fond d’elle-même, elle adore ça!

À quoi ressemble votre quotidien lors d’une journée de vendange ?

Charlène Muller : Les premiers raisins, généralement vendangés à la machine, arrivent à 9 h. Une heure plus tard, nous recevons les premières grappes vendangées à la main. En général, les bacs-palettes (NDLR : les grands bacs en plastique dans lesquels sont transportées les grappes) sont apportés vers 20 h, mais ça peut être un peu plus tard. Mon équipe et moi, nous restons jusqu’à tard dans la nuit pour nous assurer que les pressurages se passent sans problème.

Il y a du monde au travail quasiment 24 h/24

La cave est donc pratiquement ouverte 24 h/24 ?

Presque, on peut dire 22 h/24. Moi, j’arrive tôt le matin pour que tout soit prêt quand les premiers raisins arrivent et mon adjoint me rejoint à 18 h. Je lui explique comment la journée s’est passée, ce qu’il reste à faire, on vérifie que les mises en fermentation se passent bien, on remplit les formulaires (la production de vin est très réglementée et il faut tout noter), on écrit au tableau le plan de la journée suivante et on donne le programme aux vignerons pour qu’ils apportent les bons cépages. Mon adjoint reste toute la nuit, en général jusqu’à 4 h du matin, jusqu’à ce que tous les moûts de la journée soient en cuve. Chaque soir, lorsque tous les raisins sont en cuve, une équipe de nettoyage composée de deux personnes vient prendre le relais pour laver toute l’installation. Cela prend du temps parce qu’il faut mettre en place des circuits les uns après les autres pour faire passer l’eau dans l’ensemble du système. Donc oui, il y a du monde au travail quasiment 24 h/24.

Que représente ce moment de l’année pour vous ?

Tout se joue là, c’est 90 % du travail de cave de l’année. Si les quatre semaines sont bien planifiées et
que tout le monde a été sérieux (les viticulteurs et nous), alors le reste de l’année sera beaucoup plus tranquille. Il y aura toujours du travail à faire, mais le stress sera bien moins élevé.

Lorsque l’on pense aux vendanges, on pense surtout aux personnes qui coupent les grappes, mais, finalement, votre travail est tout aussi important et sûrement bien plus stressant…

Oui, c’est de l’adrénaline pure. C’est le seul moment de l’année où je n’ai pas besoin de beaucoup dormir. D’habitude, il me faut mes huit heures de sommeil, mais là, pas du tout! Pendant les vendanges, nous n’avons pas le droit d’être malades. On ne peut pas se permettre de rester à la maison si on a un problème. Quoi qu’il arrive, il faut venir travailler. Je me souviens qu’une année, j’avais une bonne angine et je n’étais vraiment pas en forme. Mais je n’avais pas le choix, il fallait que je sois là pour diriger la manœuvre.

Est-ce que la tension amène parfois des crispations ?

(Elle rit) Ça peut arriver! Lorsque tout le monde est un peu à bout, il peut y avoir des clashes… mais il faut faire en sorte qu’ils se terminent bien. Je me souviens qu’en 2021, j’avais demandé à un vigneron de trier une nouvelle fois tous les raisins de ses bacs-palettes parce que la qualité était trop hétérogène. Sur le moment, il n’était pas content, le ton est monté, mais puisque c’est moi la responsable, il a bien été obligé de faire ce que je lui demandais. Là, oui, l’ambiance était un peu tendue!

Vous êtes responsable de la qualité des raisins, mais en quoi consiste votre travail pendant les vendanges ?

Avant d’être mis dans les pressoirs, il faut effectivement vérifier la qualité des raisins, puis déterminer s’ils seront pressés en grappes entières ou égrappés. Ensuite, il faut s’organiser pour utiliser au mieux les pressoirs en fonction de la quantité de raisins qui arrive et de ce qu’on veut en faire. À Grevenmacher, nous avons six pressoirs de 8 000 litres et un de 11 000 litres. Les trois plus anciens ont été achetés en 2000 et quatre datent de 2012. Une fois que l’on a choisi où presser les raisins, il faut régler le programme de pressurage. On peut tout paramétrer : la durée et le nombre de cycles, la pression de l’air qui entoure la membrane qui va écraser les baies…

Qu’est-ce qui détermine le choix d’un programme plutôt qu’un autre ?

Les différents cépages et les vins que l’on souhaite produire. Les crémants, par exemple, sont pressés en grappes entières. C’est inscrit dans le cahier des charges de l’appellation. Le pressurage est doux pour éviter que le moût ne s’abîme au contact des tannins verts qui se trouvent autour des pépins. On ne veut que le premier jus de la pulpe qui sera sans tannins et facile à clarifier. Le premier jus s’obtient avec une pression de 0,9 ou 1 bar, c’est ce qu’on appelle la cuvée. Le deuxième jus, que l’on appelle la taille, est plus tannique et plus acide. Là, on va jusqu’à 1,9 bar. Ce n’est pas ce que l’on cherche pour le cœur de l’assemblage, mais avec son acidité, il est pratique pour lancer les fermentations malolactiques par exemple.

Avant de lancer chaque pressoir, il faut bien regarder et s’adapter

C’est différent pour les vins tranquilles ?

Pour les grands premiers crus, les vins haut de gamme, nous voulons des vins propres, droits et fins, mais des tannins sont quand même nécessaires. Sans eux, les vins sont trop lisses. Les pépins apportent non seulement des tannins, mais aussi des minéraux qui sont indispensables pour élaborer un vin de qualité. C’est ce que l’on appelle la structure phénolique. Pour l’obtenir, il faut faire en fonction de la qualité des raisins, par exemple en mettant dans le pressoir une moitié de grappes entières et une autre moitié de raisins égrappés.

Le processus est différent pour les vins rouges ?

Oui, pour obtenir la couleur rouge, le jus, qui est blanc, doit macérer au contact de la peau qui va teinter le vin. Lorsque les raisins arrivent, on les égrappe, on les foule et on les laisse plus ou moins longtemps en fonction de leur maturité et de l’intensité que l’on souhaite donner au vin. C’est le même principe pour les rosés, sauf que la macération est bien plus courte.

Faut-il adapter les programmes en fonction des cépages ? Certains ont une peau plus épaisse que d’autres…

L’elbling a une peau et une pulpe très épaisses par exemple. Le jus est difficile à sortir, il faut de la pression. Par contre, le riesling a une peau plutôt plus fine. Avant de lancer chaque pressoir, il faut bien regarder et s’adapter. Si on fait une erreur à ce moment-là, on ne peut pas revenir en arrière…

On imagine que pour les vins de glace ou les vins de paille, il faut également s’y prendre autrement.

Avec le réchauffement climatique, je me demande si on fera encore du vin de glace… mais oui, c’est très différent, puisque l’on met des raisins gelés dans le pressoir. Ça dure des heures, on peut y passer la nuit, mais il faut toujours être très vigilant parce qu’il faut tout arrêter dès que les raisins décongèlent. À ce moment-là, il n’y a plus que l’eau qui coule. Il y a toujours un guetteur à côté du pressoir. Pour les vins de paille, c’est beaucoup plus confortable, puisque l’on choisit la date. Ça change beaucoup de choses! Là aussi, il faut presser délicatement, parce que la peau des raisins que l’on a laissé sécher pendant plusieurs semaines est très fragile. Pour obtenir le meilleur résultat, il faut presser doucement et ne pas être pressé.